La première lecture d'Alerte aux zorkons en 2010 m'avait fortement déplu. Mais après avoir "digéré" les mauvaises impressions originelles et étant débarrassé de l'effet de surprise, j'ai redécouvert cette aventure avec un œil neuf et serein.
Si la mise en couleur, bien qu'élégante, agace toujours autant (les sempiternels et sinistres marron-violet-gris-vert-caca-d’oie sombres et neurasthéniques) et que le dessin beaucoup trop stylisé peut toujours heurter par moments (mais c'est normal, c'est le premier SPIROU officiel de Yoann), on ne peut nier que l'on entre dans l'histoire très rapidement. Le rythme reste d'ailleurs soutenu tout du long et le récit est homogène.
L'humour fait mouche dès le début : Champignac qui répète ce que lui ordonne Zorglub sous l'effet de la zorglonde, et surtout ces militaires incompréhensibles sous leurs masques m'ont beaucoup fait rire. Et je suis définitivement fan du soldat abonné au Journal de Spirou.
Les héros entrent vite en action et découvrent un monde hostile, genre de Vallée des bannis à Champignac qui évoque également beaucoup le début du Prisonnier du bouddha. Le passage avec le père Raymond est drôle : son petit chez lui évoque des intérieurs de Franquin (comparez avec le logis de Gustave chez qui Gaston va passer ses vacances). Arrivent ensuite les zorkons, créatures complètement demeurées, qui cette fois-ci m'ont plu par leur stupidité inégalable (notamment celui qui se mord le bras à en pleurer). On retrouve là l'esprit loufoque, burlesque et franchement déconneur de Tome. Et après tout, pourquoi ne pas accepter des zorkons si on accepte un snouffelaire ?
Quant au dessin, si on laisse de côté la mise en couleur à la mode (moche palette, mais splendide exécution cela dit), il est vraiment très riche, notamment en ce qui concerne les décors (l'abri de Champignac dans les arbres est excellent ; merci Fred Blanchard). Les personnages ont recouvré leur personnalité traditionnelle et ce n'est pas moins bon que chez les précédents dessinateurs, c'est même meilleur que chez certains (Nic, Munuera et parfois Fournier). Après tout, chacun doit se les approprier sans les dénaturer. Et c'est d'ailleurs là tout le problème d'une reprise. Alors que Munuera avait par exemple rendu les personnages exagérément longilignes et élastiques, Yoann leur a en quelque sorte rendu un "squelette". On peut donc trouver son style un peu rigide et moins souple que celui de Fournier et Janry, mais le dessin de Franquin - auquel tout le monde se réfère - était également plutôt raide jusqu'à QRN.
Hormis ces aspects positifs, il demeure pas mal d'éléments gênants.
Pour les besoins du scénario, le diplodocus du Voyageur du Mésozoïque a rétréci depuis 1957 puisqu'il a désormais la taille d'un tyrannosaure, par exemple. Il faut dire que le coup du bâton et de la carotte aurait été plus compliqué à mettre en place avec un diplodocus à bonne taille. De même, la résolution de l'histoire est bâclée en trois secondes grâce à un X5 conçu en deux coups de cuiller à pot par le comte (d’habitude il faut beaucoup de temps à Pacôme pour créer ses mixtures). Yoann & Vehlmann veulent également introduire un gag récurrent concernant la tenue de groom de Spirou qui leur pose problème (allez savoir pourquoi !), ce qui est idiot puisque la solution à la modernisation graphique du personnage avait déjà été trouvée dès 1967.
Mais le plus gros défaut de l'album est que l'on peut surtout s'interroger sur l'intérêt de faire encore revenir Zorglub dans la série, et particulièrement en regard du tome 52. Il serait d'ailleurs grand temps que les auteurs de SPIROU & FANTASIO comprennent qu'il y en a ras le bol de Zorglub (c'est comme les Dalton dans LUCKY LUKE ou Olrik dans BLAKE & MORTIMER). Et on en a assez de cette idolâtrie à outrance du "graaand Franquin", prétexte à recycler systématiquement des personnages qu’il a créés, les auteurs étant persuadés - à tort - que c’est ce que le public attend. Franquin, qui je le rappelle avait fini par détester cette série, faisait évoluer ses personnages dans un monde fictif mais réaliste teinté parfois de fantastique et de burlesque, mais pas systématiquement. Or, depuis que Tome & Janry ont jeté l'éponge, celle-ci semble être devenue avant tout une série SF, que ce soit l'officielle ou celle des VU PAR (exceptés les 2 épisodes guerriers). Où est donc passé l’esprit de La Mauvaise Tête, Virus, La Corne de rhinocéros, Le Repaire de la Murène, etc.?
Si les péripéties imaginées par Vehlmann sont généralement bonnes (et conjuguées au dessin de Yoann, elles sauvent l'album), l'argument de départ est en revanche très pauvre. La réaction en chaîne provoquée par une boulette de Zorglub aurait aussi bien pu l'être par cet étourdi de Champignac et l'album se serait suffi à lui-même, permettant dès le tome 52 de partir sur de nouvelles idées avec un nouveau méchant. Au lieu de cela, on se demande encore ce que Zorglub est venu faire là et pourquoi Yoann & Vehlmann sont allés le rechercher. D'autant plus qu'il était déjà - encore ? - dans Aux sources du Z de sinistre mémoire et qu'il ne sert véritablement ici que de prétexte à envoyer les héros sur la Lune (où il ne se passera rien !)
Au final, après la détestable période manga de leurs prédécesseurs, le nouveau duo semblait faire preuve de bonne volonté avec cette aventure meilleure pour ses péripéties que pour son sujet mais pleine de promesses pour l'avenir. La Face cachée du Z a malheureusement démontré que ce n'était pas encore dans la poche et que Yoann & Vehlmann, s'ils étaient a priori meilleurs que Morvan & Munuera, devaient encore faire leurs preuves car encore maintenant il semble que leur reprise s'apparente plus à celle, fastidieuse, de Fournier qu'à celle de Tome & Janry, immédiatement convaincante.