Les yeux plus gros que le ventre
Big Eyes, c'est l'histoire de Margaret Keane, artiste reconnaissable à ses tableaux d'enfants aux yeux exorbitants, et de son mari Walter Keane qui usurpera son identité pendant des années pour s'attirer tout le mérite de son travail. Bref, l'énième biopic qu'on imagine ô combien académique en lice pour les cérémonies de ce début de 2015. Seulement voilà : Big Eyes, c'est aussi le dernier film de Tim Burton.
Comment ne pas se rappeler l'excellent Ed Wood quand on arrive à placer Tim Burton et biopic dans les mêmes lignes ? Malgré une bande-annonce peu prometteuse et une production récente absolument calamiteuse du réalisateur, le Printemps du Cinéma et sa place à 3,5€ auront raison de moi. Surprise ou non, ce film s'avère non seulement décevant mais carrément mauvais.
On pourrait penser que ce biopic est le premier film d'un réalisateur inconnu en pleine quête d'identité tant on peine à saisir son propos. Les vingt premières minutes sont le théâtre d'une énonciation expéditive dont Burton semble vouloir se débarrasser au plus vite pour lancer son action. En effet, on y voit Margaret quitter son mari et partir avec sa fille pour San Francisco où elle y trouve emploi et conjoint qui ne manquera pas de lui faire sa demande en mariage après deux rendez-vous. Une fois ce cadre péniblement posé, on se dit que le film va enfin pouvoir décoller. Ça n'arrivera jamais. On se traîne pendant une heure quarante-cinq devant une suite de péripéties répétitives, fades et incroyablement convenues. Un seul sursaut au milieu du film pourrait nous faire espérer mais il retombe immédiatement comme un soufflé.
Cette absence de rythme nous force alors à jeter péniblement l’œil sur des personnages stéréotypés écrits à la truelle. Margaret, portée à l'écran par l'insipide Amy Adams, est la jeune femme blonde et naïve ; Walter, joué par Christopher Waltz dont on énumère les rôles où il a été meilleur durant la séance, est le pervers narcissique obsédé par l'argent. Le spectateur n'aura le droit à rien de plus et s'en lasse aussi vite que leurs acteurs qui semblent toujours jouer plus mal au fur et à mesure du film.
Que reste-t-il alors ? L'esthétique des décors de la seconde moitié du vingtième siècle est plutôt pas mal foutue certes, mais on lui donne de moins en moins d'importance ; les tableaux sont magnifiques, mais le mérite revient à Margaret Keane ; Burton tente maladroitement pour une scène seulement d'utiliser des enchaînements de plans comme seul Wes Anderson sait le faire et se plante, tente de faire une scène inspirée de combats d'arts martiaux et se plante. Je ne vais même pas parler du nombre de faux-raccords qu'on peut apercevoir, ni d'une petite touche de glauque inutile et hors-sujet que Burton ne semble pas pouvoir s’empêcher de faire et ce malgré une volonté de faire de Big Eyes un film assez "sérieux".
Si Big Eyes se révèle être une déception au vu de son réalisateur, il ne parvient même pas à être un bon film indépendamment de celui-ci. Il faudra donc se contenter d'Ed Wood.