Koyaanisqatsi
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Koyaanisqatsi

Documentaire de Godfrey Reggio (1983)

Loin d'être un film au sens classique du terme, Koaanisqatsi est une diatribe profondément vertigineuse de la société occidentale et consumériste, résultant d'un apport technologique inéluctablement croissant.

L'ère industrielle (et l'une des références de Reggio, Ivan Illich, le confirme) est sur le point de se terminer. Déjà durant le tournage, ayant eu lieu dans les années 70, on se prend de frayeur face à l'absorption de toute ressource par l'homme et pour l'homme. Ivan Illich critiquait ouvertement la technologie et l'industrie, affirmant que celles-ci détruisent tout moyen en l'exploitant à son maximum jusqu'à ce qu'il devienne ou bien inutilisable, ou bien nuisible à son but premier («Lorsqu'une activité outillée dépasse un seuil défini par l'échelle ad hoc, elle se retourne d'abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier»). La société industrielle se sert ici sans limites des ressources terrestres sans songer à la fin desdites ressources, ni aux conséquences que cela engendrerait.
En sachant que la production mondialisée augmente de manière exponentielle à chaque instant, et que ce film montre une face du monde déjà sur le bord de la dévastation, alors on peut aisément suggérer que la fin de l'outil que l'on use, la Terre en l'occurrence, est sur le point de ne plus pouvoir servir. On peut trouver un bon nombre de documents, d'essais ou de théories, sur le net, selon lesquelles l'épuisement prochain du pétrole mènera notre civilisation à sa perte. Alors, il en faudra très peu pour que bientôt nos habitudes soient radicalement bouleversées.

Démarrant sur des images presque ostentatoires de notre planète au naturel, dénuée de toute activité humaine, bercées par la bande-son extatique de Philip Glass (qui sera d'ailleurs mondialement reconnu suite à cette oeuvre), Koyaanisqatsi annonce son ambiance contemplative et muette, alternant entre terres, cieux et océans.
Puis apparaissent ces monstres d'acier, de fumée et de feu, détruisant tout sur leur passage, annihilant toute vie, tout paysage, sans vergogne. On pourrait penser à un film de science-fiction, sous cet angle, mais il s'avère que ces monstres ne sont autres que l'héritage de notre ère, nos créations, faites pour subvenir aux besoins de l'autre.

C'est à partir de là qu'on s'éloigne de la sérénité des premières minutes, s'ancrant de plus en plus intensément dans le cœur du sujet : le consumérisme. Le réalisateur propose de nombreux plans de Fricke, cinéaste au talent inégalé jusqu'ici, afin de montrer, sans cependant pointer du doigt, les avancées technologiques humaines, qui servent non seulement à pilonner la terre, mais aussi la vie.
D'une façon très fluide, les images défilent, dénonçant à la suite les infrastructures, la surpopulation, la production à la chaîne et la déshumanisation totale causées par cette société supposée bienveillante qu'on a acceptée sans broncher. L'individu ne semble plus alors être qu'une goutte, similaire à toutes les autres, perdue dans une mer. Le seul intérêt de la goutte semble être de garder sa forme unique, c'est ce qui fait sa beauté, sa distinction. Seulement, lorsqu'elle se retrouve aux côtés de ses pairs, elle n'est plus rien, rien à part une goutte d'eau parmi tant d'autres, qui ont pour rôle d'être cohésives et de former une seule entité : ici, la société. La goutte, c'est le marginal, celui qui refuse de se soumettre aux principes sociaux et aux institutions de l'industrie. L'ensemble des gouttes, donc métaphoriquement la masse, ne peuvent se déplacer qu'ensemble, en faisant en sorte de ne pas briser leurs liens.
C'est le principe de la mondialisation, dans laquelle l'individu n'est plus : il doit se soumettre aux mouvements de sa société s'il désire y subsister, et entamer une routine qui lui occupe l'esprit (dormir, consommer, travailler et vivre le plus longtemps possible – je parle de l'espèce, car la société n'en a que faire de la survie de l'individu), afin de se désister de toute volonté d'indépendance, derrière des voiles inexistants qualifiés de "droits". Il doit se délester de toute humanité et devenir un consommateur, c'est-à-dire un participant, de cette société : ainsi, dans le film, on voit souvent des comparaisons entre l'humanité et ses productions (transports contre production à la chaîne ; vue des infrastructures urbaines du ciel contre imageries de puces électroniques).

Outre ce sadisme persistant, qui consiste en la servitude volontaire en dépit de toute la souffrance reçue en échange, l'homme ne dévisage pas uniquement sa nature, mais aussi tout ce qui l'entoure. Il a fait de la planète son terrain de jeu : lors de la scène dans la salle d'arcades, on ressent une lassitude extrême des gens, qui se divertissent paradoxalement pour se détendre et oublier leurs conditions. Cet ennui peut être traduit par le fait que dans notre consumérisme, nous gardons constamment notre cerveau en alerte, en état d'urgence. Alors puisque la sagacité n'est plus de mise dans ce type de cerveau exténué, on préfère se retrancher vers la simplicité, presque instinctive, animale, comme si l'appel de la Nature opérait et qu'un manque originel se faisait sentir.
La lassitude, on la ressent tout au long du film, aussi bien dans ces interminables files d'attente que dans ces travaux répétitifs, que dans les gros plans sur des individus qui, au ralenti et dans le silence, n'ont rien d'autre que des allures de grands singes sans poil. Car c'est ce que nous sommes, des animaux errants, se fiant à une domination invisible afin d'échapper à notre crise existentielle. On s'anesthésie le cerveau volontairement, même parfois après clairvoyance à ce sujet, car la vérité est trop compliquée à admettre et à combattre.

Koyaanisqatsi est un film visionnaire, que chaque enfant devrait visionner avant même de savoir articuler ses mots, afin de le sensibiliser, voire de le traumatiser du monde dans lequel il vit. Car c'est bien l'école (je m'étais toujours demandé ce qui me rendait si insolent et si désintéressé durant toute ma scolarité précédant l'université), les institutions à but industriel (télévision, information, radio, alimentation omnivore) et la disparition de la culture personnelle (apprentissage ésotérique, réflexions existentielles, écoute de l'autre, échange avec l'autre, curiosité pacifique) qui font moisir les âmes innocentes afin de les stériliser de toute joie de vivre et de partager.
La société industrielle n'a amené qu'un individualisme abject : on privilégie l'égocentrisme (moi j'existe, les autres doivent me servir) à l'égoïsme (je partage mon existence avec les autres mais je garde une part d'intimité). On n'a plus de but dans la vie car on rêve du futur sans construire de présent, on répète incessamment les mêmes actions alors qu'on pourrait consacrer ce temps à soi et à son entourage. Concernant ce dernier point, j'aimerais insister sur le fait que tout travail commun en société sert à la société, et donc à l'autre : on passe un tiers de sa vie (calculé sur une journée de 8h de travail) à subvenir aux envies, désirs ou besoins de l'autre ; on passe un autre tiers à dormir et à manger ; on finit les quelques heures restantes en s'ennuyant, en se divertissant et en attendant le lendemain, espérant qu'il sera plus clément que le jour-même. Ivan Illich "avait par exemple calculé qu'en prenant en compte le temps moyen passé à travailler pour acquérir une automobile et faire face aux frais qui y sont liés et non seulement le temps passé à conduire celle-ci, la vitesse du bolide était de 6 km/h, soit celle d'un marcheur. En effet, un Américain consacrait en moyenne, durant les années 1970, 1600 heures par an pour sa voiture et ne parcourait que 10000 kilomètres durant l'année" (source : wikipedia).

Donc oui, les technologies, l'avancée des découvertes, l'exploitation des ressources, la société consumériste et notre ignorance volontaire face à tout cela sont néfastes, autant pour nous que pour ce qui nous entoure. Le monde entier se retrouve asservi, sans motivation autre que du matériel ou de la notoriété, à chasser un avenir qui ne peut qu'être rêvé, à renier les prédictions du passé, à cracher sur le présent.

Idi i smotri.

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le 18 déc. 2013

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rnstjmbl

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