Là où amour & haine copulent
Ayant toujours été réticent quant au visionnage du sibyllin "La Nuit du Chasseur", m'attendant à un navet-thriller de plus aux herméneutiques tarabiscotées, j'ai cependant décidé de faire confiance aux notes plutôt convaincantes de mes éclaireurs.
& il faut avouer que la première scène plonge immédiatement le spectateur dans l'ambiance si particulière de ce film, figure de pot-pourri des genres : Charles Laughton, reconnu avant tout pour sa carrière d'acteur, signe ici sa seule oeuvre en tant que réalisateur, & quel exploit inattendu ! La diversité des thèmes suggérés laisse libre interprétation à l'auditoire adepte de subjectivité omnipotente. Certains voient d'ailleurs la partie suivant la scène de la cave comme un surplus bien futile qui entache le bon déroulement de leurs explications ; je n'y vois qu'un enchantement de plus ajoutant une touche d'onirisme & de vagabondage à un chef-d'oeuvre qui n'a pas encore fini d'influencer les grands d'aujourd'hui. Quel est l'intérêt de s'enfoncer dans des thèses absconses lorsque l'on peut se contenter d'une admiration toute simple ?
En parlant d'aujourd'hui, "La Nuit du Chasseur" n'a pas pris une ride ; à vrai dire, on se méprendrait presque sur son âge. Il ne paraît vraiment pas avoir ses cinquante ans : sa photographie est fluide, les noirs & les blancs semblent être superposés, tant l'utilisation du clair-obscur est faite d'une patte de maître, tout est presque irréel, fabriqué, créé de toutes pièces par un dieu de la technique ; les chants, représentant la majeure partie musicale du film, ont des allures psychédéliques, presque expérimentales, & sont à la fois effrayants & aguicheurs ; quelques scènes sont incroyablement émoustillantes, on sait dès les premiers échanges qu'elles sont cultes, inoubliables (comme la scène du père au début, celle du prêtre faisant la leçon de morale à sa femme pendant la nuit de noces, ou encore la nuit en bateau & le calme reposant de la rivière tendre).
L'interprétation de Mitchum est fascinante, à mi-chemin entre le moralisateur, le menteur, le mécréant & le tueur. Jamais d'excès dans le jeu, une justesse mémorable dont beaucoup d'acteurs devraient apprendre les rouages de nos jours. Les deux enfants eux-mêmes sont bouleversants de conviction, ainsi que le reste des acteurs, finalement..
Si je n'accorde pas la note suprême à ce film, c'est bien à cause du fait que la fin, la volonté de lynchage, le bien triomphant du mal me font légèrement trop songer à "M le Maudit". Cependant, il s'agit bel & bien d'un chef-d'oeuvre, indubitablement..
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