Kaguya-Hime no Monogatari
Quatorze ans. Il se sera déroulé 14 longues années entre la sortie de mes Voisins les Yamada et du Conte de la Princesse Kaguya. Mais on ne peut pas en vouloir à Isao Takahata qui, à l’age de 78 ans, continue à nous faire rêver. Le maitre a fait ses armes avec Hayao Miyazaki sur quelques épisodes d’Edgar de la Cambriole (Lupin III) ou de Conan le Fils du Futur avant de fonder le studio Ghibli. Il y a réalisera Le Tombeau des Lucioles. Tout simplement.
Aujourd’hui, il revient plus en forme que jamais. Avec un véritable chef d’oeuvre.
Le Conte de la Princesse Kaguya est le texte narratif japonais considéré comme le plus ancien. Il aurait été écrit quelque part autour du 9e siècle, quand en Europe les moins enluminaient le Livre de Kells. On y fait la connaissance de l’héroïne donnant son nom à l’histoire, découverte par son père adoptif au cœur d’un bambou qu’il a ouvert en deux. Elle se met à grandir très vite et à se faire remarquer. Quand son père trouve une pépite d’or dans un autre bambou, il décide d’en faire une princesse, et de l’amener à la ville. De nombreux éléments de l’histoire se retrouveront dans d’autres cultures, d’autres folklores, à l’image du bébé de la taille d’un doigt qui grandit vite puis, plus tard dans l’histoire, des princes chargés de quêtes insensées pour avoir le droit d’épouser une prétendante.
Cette histoire, Isao Takahata la reprend sans y toucher. A l’heure où on a l’habitude de voir des contes détournés, modernisés, adaptés etc il est agréable de voir qu’un metteur en scène peut se reposer intégralement sur le texte d’origine sans avoir recours à des changements idiots. La seule chose que se permet Takahata, c’est de donner de l’épaisseur à ses personnages via quelques très belles scènes.
Car oui, il faut le dire haut et fort, Le Conte de la Princesse Kaguya est avant tout un film d’une beauté incomparable. Dessiné en très grande majorité à la main, au fusain et à l’aquarelle, avec des décors épurés, et des couleurs légères rappelant les estampes japonaises, le dessin animé n’est que 2h20 de plaisir visuel.
Quand il n’allège pas son dessin pour insister sur certains aspects, le réalisateur brouille les traits pour insister sur un sentiment (la scène de la fuite, partiellement montrée dans la bande annonce est en ça exceptionnelle), et le pastel vire au noir. Le résultat n’est pas pour autant simple comme on pourrait le croire. Bien au contraire, le trait est précis et l’animation détaillée. Parmi les nombreuses scènes marquantes, on retiendra en particulier un passage sous les cerisiers en fleurs et une autre impliquant des grenouilles, ou les mimiques de l’héroïne suffisent à vous faire avoir les larmes aux yeux.. D’ailleurs, à ce propos, Takahata prend le temps de montrer la nature. On le voit s’arrêter sur un couple d’oiseaux sur un arbre, un petit serpent d’eau dans une rivière … pour se rappeler qu’on est face à de l’animation et qu’il a pris le temps de tout dessiner.
Éblouissant par sa mise en scène, riche en émotions, l’histoire de Kaguya possède des thématiques fortes et encore d’actualité 1200 ans après le récit d’origine. Tout repose sur la place de l’héroïne dans la société. Comme beaucoup de jeunes filles dans ce genre d’histoire, elle rêve d’aventure et veut passer du temps avec ses amis dans sa région d’origine. Elle n’est pas intéressée par l’aristocratie et encore moins par de pseudos soupirants pas capables d’être eux-même. Doit-elle se plier à la volonté de ses parents ou vivre de ses propres ailes ? Elle qui n’est pas vraiment comme les autres de par ses origines a-t-elle une place dans le monde ?
D’une durée hors norme pour un film d’animation (près de 2h20 !), le nouveau film d’Isao Takahata est un ravissement de tous les instants. Véritable conte porté par une animation sans faille, l’histoire de la Princesse Kaguya touche au sublime. Vous finirez en larmes, et pas seulement parce que c’est très probablement le dernier film du maître et qu’une page du studio Ghibli se tourne avec le générique de fin. Aussi, tout simplement parce que c’est magnifique.