Après plus de 14 ans d’absence, le maître Isao Takahata, co-fondateur avec Miyazaki des Studios Ghibli, sort de son ombre pour nous délivrer l’œuvre d’une vie, celle de la Princesse Kaguya, vacillant entre ode à la nature et scepticisme de l’humanité. En effet, il adapte l’un des plus vieux contes, abordant des thèmes universels comme la famille, la religion, et l’amour dévoué. Une véritable merveille visuelle, reprenant l’esthétisme raffiné de la calligraphie japonaise du Xème siècle, cachant un discours moralisateur plus sombre et spirituel.
L’intrigue démarre par la naissance de cette petite fille, sortie magiquement d’un bambou, traitée comme une princesse par ce modeste vieux couple de paysan. Attachants et aux traits de caractère volontairement grossiers, les personnages nous amusent au début par leur naturel. Au fur et à mesure la petite fille croit à une vitesse miraculeuse, et expérimente les joies de l’enfance au milieu d’une nature intacte qui devient plus fleurie et plus fertile autour d’elle. Ainsi, on lui attribue le titre de princesse, pour ses dons hors du commun. Mais le vieux paysan, devient ambitieux et prétentieux, prétendant vouloir le meilleur pour sa fille. Il l’éloigne de la campagne pour la parer comme une véritable princesse.
La suite de l’histoire devient plus rude et amère. Les traits deviennent violents pour dessiner ces décors urbains. La nouvelle vie de la jeune fille perd alors toute la joie et l’innocence du début. Désormais, elle est réduite à se plier aux codes de conduite et le diktat vestimentaire d’une princesse digne de ce nom, se privant de liberté, de rire ou de courir…
Dans cette nouvelle vie dictée par l’honneur et le devoir, on la promet au mariage d’un grand prince, comme clé de son bonheur. C’est pour l’honneur et la fierté de son père, qu’elle se plie à cette promesse de mariage. Les prétendants se bousculent, mais leurs intentions sont peu honorables entre la recherche de la beauté, la soif de pouvoir et la cupidité. Les hommes sont mauvais à coté de cette princesse (pas si humaine) maline, qui leur demande des choses impossibles en échange de sa main. S’ensuit un discours plus progressiste sur l’impossibilité de se marier sans amour véritable et partagé.
Cette seconde partie du conte est beaucoup plus pessimiste, nous livrant une magnifique scène emprunte de violence, où la jeune fille s’enfuit vers la Lune brillante, délivrée des apparats et diktats de princesse humaine. Comme pour clôturer son expérience sur terre, la jeune fille retourne à son village d’origine, retrouvant son amour d’enfance et la nature apaisante. La fin prend une tournure surnaturelle et mystique avec l’arrivée inattendue des habitants de la Lune sur Terre, venue récupérer leur princesse. La fin heureuse n’en ai pas réellement une. Cette scène d’adieux entre la princesse et ses parents adoptifs est très émouvante, mais sonne désespérément comme la conclusion que la vie sur Terre est trop triste à supporter. Le Conte de la princesse Kaguya doit être perçu comme le processus d’une année bercée par les saisons (printemps à hiver), de l’évolution du personnage de la naissance à la mort.
Rien à redire sur les dessins, dont les ébauches de coups de crayons sont lisses et voluptueux, prouvant le côté perfectionniste de Takahata. Les costumes et détails caricaturaux des visages témoignent d’un grand réalisme, plus particulièrement les décors naturels : de cette forêt de bambous phosphorescents, à la perfection de cette lune pleine…
D’une rare beauté, simple et épurée, Le Conte de la princesse Kaguya souffre en contraste d’une longueur pesante et d’un côté très portée sur la religion et l’importance de l’honneur. Le discours moraliste et écologiste de la fin, parfois lourd de sérieux, dénote avec le début lumineux et candide. Comme les traits noirs et durs contrastent avec la légèreté des tons pastel qui dessinent l’apparence de la petite fille. A 78 ans, Isao Takahata signe sûrement son dernier projet qui aura germé pendant 50 ans, aboutissant à ce mélange d’accomplissement testamentaire et de constat désabusé.