Le minimalisme d'Anderson qui en dit tellement...
"Moonrise Kingdom" est loin d'être parfait ; ce n'est pas non plus le meilleur film de l'expérimentateur qu'est Wes. Le contenu est assez inégal, on tourne parfois en rond & on peine à comprendre la finalité du réalisateur. Ce dernier possède cette lueur de génie si particulière qui amène le spectateur à un stade onirique très poussé, si bien qu'il peut s'endormir nonchalamment sur une scène pour ensuite sursauter, sans toutefois que les transitions scéniques soient abruptes ou mal maîtrisées.
& c'est en réfléchissant à tout cela qu'on perçoit tout le cynisme de l'auteur : ses films ne sont jamais que des comédies, certes, mais elles sont dramatiques. Cet homme n'est pas uniquement l'artiste pensif, évasif, morne auquel tout le monde songe en s'imaginant sa personnalité ; il est aussi, à l'instar d'un Gondry, un grand penseur. En analysant chaque scène, on se rend compte à quel point il est méticuleux, à quel point ses arrangements recherchent une certaine perfection, une "angularité" étonnante qui frôlent l'excessif. En fouillant cet aspect & en le combinant aux travaux empreints de puérilités qu'il se plait à insérer dans ses histoires (présence notoire des enfants, dialogues innocents, contemplation & admiration pour la nature), il est aisé d'entrevoir toute la dépression & le nihilisme d'Anderson : il en ressort toute sa nostalgie, toutes ces couleurs auxquelles il tient tant, toutes ces convictions qu'il ne veut sous aucun prétexte laisser tomber. C'est en cela qu'on reconnaît un grand homme. C'est en cela qu'il s'impose sur la scène cinématographique comme l'idyllique réalisateur que tout adulte encense, tout adulte ayant accepté, comme il le transcrit dans chacun de ses films, sa condition miséreuse & n'ayant plus que ses songes de bambin pour le sauver du suicide moral. Ici, on retrouve un Bill Murray désespéré au point qu'il aimerait que la tempête l'aspire jusque dans l'espace ; un Bruce Willis éventré par la neurasthénie de la solitude ; un Edward Norton méconnaissable en rôle secondaire surprenant de véridicité... Tous ces adultes heurtés par la mélancolie de la vie, regrettant tels des "Ivan Illitchs" leur tendre enfance arrachée par la violence des évènements.
Il va sans dire que "Moonrise Kingdom", sans être un chef-d'oeuvre absolu, est le genre de film incontournable, qui entre dans les classiques du cinéma indépendant (& je commence à penser la même chose quant à l'ensemble de la filmographie du resplendissant Wes). Bercé par la légèreté, dans une ambiance sépia retranscrivant la fin de l'innocence du milieu des années 60, sur une bande-son éthérée, le spectateur jouit d'un retour dans le doux passé de son enfance aujourd'hui rêvée, autrefois vécue de manière indolente. "Moonrise Kingdom" vient se poser à la frontière présente entre les regrets de l'âge adulte & l'apathie insouciante de l'âge enfantin.
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