Il fait une chaleur à crever dans un petit village turc au bord de la Mer Noire. Sonay, Selma, Ece, Nur et Lale, cinq sœurs, se jettent dans les vagues avec fougue. Elles jouent et rient, juchées sur les épaules des garçons. Scandale ! Leur grand-mère et leur oncle, musulmans conservateurs et traditionnalistes, qui les ont élevées, les accusent de s’être « branlées sur la nuque des garçons ». Honte ! « Vous êtes souillées ! », « Tout le village parle de vos obscénités ! ». Enfermées, bridées, interdites de retourner à l’école, elles sont programmées pour devenir alors de parfaites petites épouses soumises destinées à faire des enfants, et la cuisine. Les mariages arrangés se profilent. La rébellion commence.
La réalisatrice Deniz Gamze Ergüven est turque, mais elle a surtout vécu en France. Elle explique de nombreuses fois dans ses interviews que cela lui permet de prendre du recul par rapport à la condition des jeunes femmes turques. Là-bas, explique-t-elle, tout ce qui a trait à ces dernières est ramené à la sexualité. Elles ne sont pas vues comme des enfants, mais déjà comme des femmes, alors qu’elles n’ont que neuf, douze ou quatorze ans. On leur reproche une sensualité vulgaire à la moindre cheville apparente. De cette situation ressort un certain malaise sociétal palpable, qui en dit long sur un pays qui a pourtant été l’un des premiers à reconnaître le droit de vote aux femmes…
Les cinq sœurs ne sont pas des révolutionnaires, ce n’est pas un film de « réac » comme j’ai pu le voir beaucoup trop. Ce sont simplement cinq filles ivres de liberté qu’on tente d’aliéner, victimes de la dramatisation absurde d’un banal bain de mer. Cinq sœurs qui tentaient de vivre dans l’ère du temps, qui ne songeaient même pas à une émancipation quelconque : elles se sentaient déjà indépendantes. Mais un oncle trop sévère et une grand-mère effacée accrochée aux traditions comme une moule à un rocher auront raison de ces cinq esprits infatigables : la maison familiale devient une prison.
Cependant, la force et la beauté de Mustang résident dans le fait que malgré cet enfermement triste et injuste, la grâce, la combattivité et l’inventivité des cinq sœurs éclatantes de jeunesse triomphent. Elles nous confient précieusement un optimisme brillant qu’on ne lâche plus jusqu’à la fin du film, auquel on s’agrippe fermement, en espérant qu’elles ne flancheront pas, et nous non plus.
Éperdues de liberté, les jeunes sœurs aux longues crinières sont comme des mustangs indomptables qui ruent pour qu’on ne leur passe pas le mors à la mâchoire. Mais tout est fait avec délicatesse et intelligence. L’amour qu’elles se portent les unes aux autres est bouleversant. La joie et la vie qui bouillonnent en elles sont tangibles. Assoiffées de bonheur, dignes et inébranlables, leur opposition au joug des traditions n’est pas une révolte caricaturale. Elles savent pourquoi elles se battent, possèdent un sens aigu de la justice. Elles connaissent la valeur du respect, et on sent, malgré les évènements, la douce tendresse qu’elles portent à leur grand-mère, au contraire de leur oncle, protagoniste malsain et méprisable.
La plus jeune des filles, Lale, est le noyau dur de cette fratrie soudée. Braise brûlante, charbon ardent, courageuse et impétueuse, elle est la plus prompte à s’opposer : c’est elle la véritable héroïne, la chef de la horde. Sur son visage vivent les milliers d’émotions de celle qui ne renonce jamais.
Enfin, merci pour la splendeur du film, la beauté et l’authenticité des actrices, la force des plans, et la somptuosité de la musique. Merci Deniz Gamze Ergüven de m’avoir fait vivre un moment inoubliable, de m'avoir fait témoin d'une ode à la liberté puissante. Tsunami dans mes canaux lacrymaux.
NB : quelques mots en ce qui concerne la pseudo ressemblance avec Virgin Suicides. Ce dernier montrait des héroïnes beaucoup plus « vaporeuses », si je puis me permettre. Bonnie ou Mary, deux des cinq sœurs Lisbon, semblaient toujours absentes tout en étant là. A contrario, les cinq mustangs sont fougueuses, crachent sur la passivité et serrent les dents quand ça fait mal. Et si l’une tombe, on la relève. Et on essaie de ne jamais abandonner, coûte que coûte.