Star Wars Episode VII The force awakens : Les outils pour juger

A la lecture des premiers écrits sur le nouvel épisode de la saga Star Wars, on ne peut qu'être consterné par l'approche des journalistes, résolument régressive. En effet, aucune analyse esthétique ou même narrative. On se contente de dire ce que l'on a aimé, pas aimé sans essayer de justifier son propos, comme si les journalistes critiques avaient soudainement oublié ce qu'est leur métier.
Alors bien sûr il y a l'effet Star Wars qui fait que c'est le fan qui parle à la place du professionnel. Il y a aussi la pression médiatique qui veut que l'on sorte le premier la critique tant attendue, au mépris de sa qualité. Mais surtout, et c'est là que c'est un peu plus triste, il y a cette idée toujours persistante qu'un blockbuster n'a pas le droit à une analyse poussé car...c'est un blockbuster, soit une machine de divertissement qui se doit de contenter nos attentes immédiates de spectateurs/consommateurs, nous procurer le plaisir tant attendu, point.


«  Hélas, ces films ne semblent inspirer que des études historiques, sociologiques, obsédées par le phénomène économique et médiatique. » Pierre Berthomieu, Le rebel et l'empereur, (2006).


Or, Star Wars a prouvé depuis le temps qu'il n'est pas un simple  Blockbuster  mais bien un objet culturel complexe qui doit être analysé comme tel si on veut le juger à sa juste valeur. Cet essai se veut être une piqûre de rappel et s'appuiera pour cela sur les écrits de Pierre Berthomieu, référence française en la matière, et plus particulièrement sur l'essai collectif dont il a dirigé la rédaction : Le rebelle et l'empereur. 2006. Etudes sur Star Wars (2006). Cet essai est peut être le seul écrit qu'il faut avoir lu sur Star Wars. A chaque nouvelle entrée, on découvre l'œuvre sous un angle différent : narratif, esthétique, symbolique...et l'approche universitaire n'enlève rien à la passion qui semble animer ces jeunes auteurs. Rendre justice à cette saga en jugeant ce nouvel opus à la lumière de ce qu'est Star Wars : un canon hollywoodien, une synthèse ultime où la modernité s'intègre dans la forme classique et la renouvelle, voilà ce qu'il faut rappeler et ré-affirmer afin de pouvoir, me semble-t-il, juger ce nouvel épisode avec un minimum de légitimité.


I. Star Wars : un canon hollywoodien


a) Apogée de la forme classique


Un petit récapitulatif historique s'impose. Lucas a réussi avec Star Wars une hybridation remarquable. Il a combiné les codes du cinéma classiques hollywoodiens avec ceux du cinéma expérimental dans une geste harmonieuse, utilisant au passage et chaque fois les outils technologiques en vigueur à son époque, voire en les inventant (voir lien plus bas). Alors le classicisme hollywoodien c'est quoi ?


C'est la croyance absolue aux lois de la fiction, de ces racines mythiques, littéraires et théâtrales à sa nouvelle forme moderne (définitive ?) qu'est le cinématographe. C'est l'art de l'évasion, de l'exotisme et donc de la sidération via l'utilisation pleine du médium employé, ici les images. Le classicisme c'est aussi une tonalité, un sens du drame à la violence transfigurée, dramatisée et non ouvertement exposée, un récit dans lequel les valeurs idéalistes sont parfois remises en cause mais finalement célébrées, c'est une quête du sens plein. On ne peut pas donc comparer Star Wars à n'importe quel film. Remarquez ici que nous sommes à mille lieux de Mad Mad Fury Road sortie cette année (sur le fond, moins sur la forme) ou plus encore des films de Christopher Nolan (ni sur le fond ni sur la forme !). On est dans le récit qui fait sens et qui célèbre l'ordre cosmique de l'univers en combattant le nihilisme ou du moins en l'intégrant comme partie d'un tout harmonieux. Enfin Hollywood c'est aussi l'assurance de la logique du genre, constitutive de son identité, en opposition au cinéma dit « européen » et « auteuriste » En cela, Lucas inscrit Star Wars dans la lignée de Autant en emporte le vent (1939), Citizen Kane (1941) ou encore Lauwrence d'Arabie (1962), de la même manière que Cameron fera perdurer cet héritage avec Titanic (1997), un pur mélodrame classique ou plus récemment Avatar (2009). Ces films sont des synthèses du classicisme hollywoodien à une époque donnée. On remarquera qu'à chaque fois la modernité technique et esthétique de l'époque refonde la forme classique et la ré-affirme, démontrant alors sa capacité à muter pour atteindre une forme d'immortalité artistique.


Il y a une confiance chez Lucas dans la forme classique, à condition de savoir la faire évoluer avec son temps. C'est là que l'apport du cinéma expérimental, non figuratif, et l'utilisation de la technologie entre en jeu et vient dynamiser la forme classique pour la rendre pertinente et donc la perpétuer. Décors abstraits, monstruosités, effets sonores construits comme des métaphores, fondus improbables, montage rythmique, montage choc...la forme classique est ici condamnée à évoluer de l'intérieur mais ne perd rien de son sens plein, au contraire.


Pourquoi  Star Wars y parvient ? Une partie de la réponse est à chercher dans le genre même qu'incarne la saga : Le space opera. Nous sommes ici dans le registre de la série B, ces petits films fauchés remplis d'effets visuels approximatifs, de dialogues simplistes mais dont le charme exotique et la puissance évocatrice a séduit tant de générations. Ces films sont liés autant à la forme classique qu'à l'expérimentation visuelle comme l'est également la Science-fiction. Leurs univers singuliers justifient l'utilisation de formes nouvelles afin de figurer l'inconnu, l'inhabituel de manière encore plus prononcée que le cinéma fantastique, forcément ancré dans une base réaliste. Afin de faire du Space opera et de la S-F des genres pionniers, acteur du renouveau formel du classicisme hollywoodien, Lucas ira donc puiser dans le cinéma underground (ses racines) comme l'a fait Disney avant lui, afin de trouver les formes adéquates à son univers cinématographique.


Approchons à présent la structure même de la Saga de Lucas afin de montrer comment celle-ci a su proposer une forme fictionnelle neuve et faire du cinéma le médium narratif premier du 20ème siècle.


b) Une structure narrative singulière


Je ne peux proposer ici qu'un bref récapitulatif car le sujet est vaste et passionnant. Disons que Star Wars est une saga construite sur un schéma de deux fois 3 actes et que chaque trilogie opère d'un mouvement précis. Les épisodes IV,V et VI racontent, sur la base du monomythe synthétisé par Joseph Campbell dans le livre Le héros aux milles visages, la quête identitaire du héros. Apprentissage, révélation et enfin affirmation. Luke doit, par une suite d'épreuves, découvrir qui il est pour mieux triompher du mal. La première trilogie est en cela centrée sur les individualités. Le drame intime est au cœur d'un conflit galactique qui restera le plus possible en hors-champs et de la résolution de ce conflit découlera celle de l'univers entier : la victoire sur l'Empire.


Là où l'ancienne trilogie raconte la construction d'un mythe, la nouvelle trilogie elle opère le processus inverse. C'est la descente aux enfers d'Anakin Skywalker. Une trajectoire tragique calquée sur les codes de la tragédie antique : la mort est inéluctable, il ne s'agit plus que de constater avec impuissance les mécanismes politiques et relationnels qui pousseront Anakin vers le côté obscur. En cela la prélogie est infiniment plus sombre et complexe, qu'on l'apprécie ou pas. On peut en effet lui reprocher une volonté trop grande de faire sens, de combler les vides, les hors-champs de la trilogie principale, mais c'est pourtant là que la geste de Lucas parachève la création d'un univers total, avec son propre passé à présent incarné à l'écran. Les effet de miroirs sont constants.


La prélogie ne s'intéresse plus tant à l'individu qu'aux masses en mouvements : peuples asservis, armées gigantesques qui s'entrechoquent. Là encore, le modèle utilisé est celui du péplum et sa dimension épique. C'est dans cette prélogie plus que jamais que Lucas approfondit sa réflexion politique passant un temps important à décrire les débats stériles du Sénat, la position délicate du conseil des Jedis, de double jeu de Palpatine et son obtention du pouvoir à la manière d'un Jules César prenant petit à petit le contrôle total de Rome et faisant basculer la République en Empire totalitaire. La Seconde guerre mondiale n'est jamais très loin non plus.
Arrêtons-nous ici car il me faudrait un autre paragraphe pour vous parler du rapport ambivalent de Lucas à la technologie dans et en dehors de Star Wars, mais retenez tout de même que le rapport répétition/variation cher au classicisme hollywoodien est la structure immuable de cet immense collage qu'est la saga Stars Wars. Tout change mais rien ne change et la difficile tache de la nouvelle trilogie contrôlée à présent par Disney sera de faire sens avec cette habile construction narrative absolument unique au cinéma.


« Conçu comme un poème épique et comme système formel, Star Wars repose sur un puzzle quasi arithmétique de signes déclinés et altérés, qui happe le spectateur dans la sphère de la reconnaissance et de la surprise ». Pierre Berthomieu, Le rebel et l'empereur (2006).


On notera que la prélogie, réalisée au début des années 2000, sera à l'origine de tous les pré-quels qui abondent depuis sur nos écrans. Chaque nouvelle forme cinématographique inventé par Lucas a été immédiatement copiée, démultipliée et finalement dévitalisée par Hollywood, d'où le scepticisme de beaucoup à l'annonce de cette nouvelle trilogie ou postlogie produit par Disney.


c) Une cohérence esthétique


Si les deux trilogies se distinguent par des trajectoires narratives en miroir, elles se complètent et font sens, notamment grâce à une cohérence esthétique remarquable. Pour faire simple, disons que Lucas a créé de toute pièce et par une série d'habiles collages, ce que l'on peut appeler maladroitement le style Star Wars. Chaque spectateur sait plus ou moins consciemment de quoi il retourne. Les films Star Wars ont un rythme singulier, une métrique. L’enchaînement des séquences se fait toujours par fondus enchaînés et créer des collages improbables, la musique de Williams lie le tout grâce à des partitions à motifs, à la manière des compositeurs classiques hollywoodiens de l'âge d'or combinés à un sens du « sound design » absolument novateur et lorgnant sans cesse du côté de l'expérimentation. Enfin, le style de mise en scène même de Lucas n'est pas maniériste. Le cadre bouge peu, ce sont les éléments en interaction dans le cadre qui créent la vitesse et le mouvement. Lucas épouse ici une forme picturale, presque théâtrale. Tout se déroule dans une fenêtre rectangulaire renvoyant au classicisme de médiums ancestraux : peinture, théâtre. C'est le contraire par exemple des frêres Wachoswki, constamment à la recherche d'un cadre immersif qui perdrait sa géométrie, annulerait ses bords pour fusionner avec le regard du spectateur comme dans Matrix (1999) ou Speed Racer (2008). J'espère que vous comprenez un peu mieux pourquoi il est convenu que Star Wars est le maître étalon du classicisme hollywoodien. Nombre des éléments stylistiques qui font sa particularité sont désuets, mais parce qu'ils sont réinvestis par la technologie et l'expérimentation esthétique, ils sont toujours pertinents. Lucas a créé une forme de fiction totale, une grammaire visuelle implacable. Il a fait muter le classicisme tout en conservant son essence. Star Wars, c'est une tragédie grecque, un récit de chevalier repensé et sublimé pour le médium cinéma.


II. Star Wars VII : The Force Awakens : Le passage de témoin


La première partie de cet essai nous à donné les outils nécessaires à une analyse pertinente de ce nouvel épisode au goût particulier puisque Georges Lucas n'en est plus le maître. Cependant, son ombre plane sur tout le film. C'est le sujet même de cet opus et en cela le choix de J.J Abrams est logique car le metteur en scène incarne à merveille cette passerelle entre l'héritage 80's des productions Lucas/Spielberg (Super 8, 2011) et un certain sens de la modernité, notamment à travers son rôle de Showrunner sur Alias (2001), Lost (2004) ou encore Fringe (2008), le tout fusionnant avec brio dans son reboot de Star Trek (2009), sorte de brouillon inavoué de ce Star Wars. Alors reprenons nos outils et attachons-nous d'abord à analyser les éléments narratifs de cet épisode VII.


A) Les éléments narratifs


Vous l'avez sans doute remarqué, Abrams à tout compris à la logique de répétition/variation. On a clairement l'impression de voir un décalque de la trame narrative de l'épisode IV : scène d'introduction qui donne le ton et établit la menace, recherche dans le désert, évasion/infiltration d'un vaisseau ennemi, réécriture de la scène de la Cantina, la liste est longue et même si, en bon fan de Star Wars, on est d'abord rassuré par cette fidélité, on se dit tout de même qu'on aimerait bien voir autre chose, que l'on est ouvert et prêt à la nouveauté. Mais pas Hollywood apparemment. Abrams colle à la trame de l'épisode IV car c'est sa bouée de sauvetage, sa garantie de ne pas perdre le rythme lucasien qui fait que le spectateur sait, sent qu'il regarde un Star Wars.
C'est donc re-parti pour une trilogie en trois actes qui devrait logiquement raconter la quête identitaire d'un héros touché par la Force. Mais après la construction, puis la déconstruction d'un mythe que reste t-il à raconter ? Si Abrams est fidèle à Lucas, l'est-il vraiment au point de poursuivre la logique structurelle de ce dernier ?


Car après tout, le jeune metteur en scène ne fait que citer l'ancienne trilogie et semble omettre volontairement la dernière. Pourquoi ? Parce que personne ne l'aime, que les fans n'ont de cesse de la critiquer. Hollywood, plus que jamais pragmatique quand il s'agit d'argent, ne veut surtout pas pâtir des effets négatifs de la prélogie mais faire l'unanimité. Ce n'est pas pour rien que l'on a choisi de raconter la suite des épisodes IV,V,VI : il faut faire consensus ou bien des milliers de geeks voudront votre peau ! On le verra pourtant, il y a bien, outre la modernité technique, des traces de la prélogie dans ce Star Wars, et il y en aura sûrement plus par la suite, car qu'on les aime ou non, ces épisodes nous ont apporté bien plus que ce que l'on veut bien admettre. Lucas n'a jamais été dans le sens de son public et c'est pour cela que la prélogie a déçu au point que ce dernier à fini par se débarrasser de sa franchise, usé par les critiques incessantes de fans hermétiques à la nouveauté. Trop lente, trop diplomatique et politique, cette prélogie traduit cependant les aspirations profondes du cinéaste et pose un regard inquiet sur l'histoire de nos sociétés. Lucas a bien essayé de faire passer un script à Disney au moment de la transmission de la franchise, mais il a été gentiment remercié. « On veut un film pour les fans » ont répondu les financiers, « pas la prélogie nouvelle version »...Soit.


Mais revenons à cette épisode VII et notamment à ces nouveaux apports. Car il y a quelques prises de risques plutôt bienvenues dont l'arc narratif construit autour de Finn. Choisir dès la première scène du film de renverser notre regard sur les Stormtroopers en les humanisant de la sorte dans une scène d'une violence inhabituelle pour un Star Wars, voilà qui est habile. Reste à savoir ce que ce personnage va devenir. On le verrait bien en nouveau Solo mais la place semble prise par Poe Dameron, le pilote de X-Wing. On le voit tenir le sabre de Luke deux fois...mais finalement c'est Rey qui s'en empare. Finn est un peu le petit nouveau pas vraiment à sa place. Il se cherche et nous cherchons avec lui. La manière dont il sera utilisé par la suite sera déterminante pour la qualité de la nouvelle trilogie. Lancer des pistes c'est bien et c'est la spécialité d'Abrams, mais raconter une histoire qui tient debout jusqu'à sa conclusion c'est autre chose...Oui je pense à Lost !


Là où cet épisode frappe très juste, c'est dans cette manière presque inconsciente de faire se rejoindre les deux trilogies sur un point : remarquez comment le rapport entre individu et multitude dont on parlait plus haut est ici davantage affirmé. La scène d'introduction n'est autre qu'une exécution, celle d'un homme important mais dont le rôle nous échappe, mais surtout celle de tout un village ! De même la destruction de nombreuses planètes est également vécu de l'intérieur, de manière subjective par les habitants qui les peuplent, à la différence de la destruction désincarnée d'Alderande dans l'épisode IV. Je pense qu'Abrams agit de la sorte dans un souci d'authenticité. Il veut intensifier et rendre tangible la menace pour impliquer davantage le spectateur. Reste qu'en faisant cela, il fait se rejoindre les deux trilogies précédentes en mélangeant quête individuelle et destin collectif. Qu'on le veuille ou non, la prélogie ne peut être niée.


On appréciera également le traitement de Kylo Ren, tout en sensibilité. Un méchant qui doute c'est toujours bon signe, cela veut dire que le manichéisme apparent de Star Wars est discutable et il l'a toujours été. Piqure de rappel donc. Enfin l'iconisation de Luke est certainement la plus grande réussite narrative de ce nouvel opus et ravive avec panache le mythe. Le nœud dramatique de la nouvelle trilogie se joue peut-être ici. On sait d'ailleurs que c'est cette question « Qu'est devenu Luke Skywalker ? » qui a donné envie à Abrams de faire le film. Ce nouvel épisode ravive donc le mythe, le « reveille », mais pour en faire quoi ? Le perpétuer, le ré-affirmer, le transfigurer ? Jusqu'où le lien avec la vision de Lucas sera respecté ? On ne sait...Reste que cette utilisation à retardement du personnage de Luke est intelligente car elle crée une attente, d'autant plus que la scène est chargée de mystique : le choix du décor, la position des personnages dans l'espace, cette utilisation désuète mais charmante des fondus enchainés en guise de courtes ellipses et surtout ces deux thèmes musicaux qui s'entremêlent, le tout sans une ligne de dialogue ! Voilà la scène la plus lucasienne du film, la meilleure aussi. Au deuxième visionnage j'ai remarqué un jeu avec la lumière très subtile durant la scène Solo/Ren qui en disait long sur l'état mental de ce dernier. Voilà le genre de détails minimalistes avec lesquels le créateur de la saga aimait beaucoup jouer. L'occasion ici d'aborder l'esthétique de cette épisode VII en cherchant à distinguer ce qu'il reste de cette grammaire « Star Wars » et ce qu'apporte Abrams.


b) Les éléments esthétiques


Et là aussi il est question de faire fusionner des univers, Pas tellement celui de Lucas et celui d'Abrams, mais plutôt celui du classicisme selon Lucas et de la formule hollywoodienne des années 2010 instaurée par Marvel. Vous l'aurez remarqué, ce nouvel épisode rempli avec un peu trop de sérieux le cahier des charges des blockbusters actuels en matière d'action. Cela était-il déjà le cas avec la prélogie ?
Disons que le passage au numérique a permis des libertés dont Lucas a largement profité. Après tout, c'est un peu lui qui l'a inventé ce cinéma moderne et plus que jamais technologique. Pour autant ce dernier n'a jamais abandonné ses racines classiques. Or ici, le style pictural et théâtral propre à Star Wars s'efface parfois pour laisser place à une mise en scène certes plus nerveuse mais aussi plus générique. Dès la première séquence on sent que l'on est passé à une autre grammaire qui enchaine allègrement les mouvements de caméra pour dynamiser le rythme du film.
Heureusement, Abrams a intégré à son cinéma des codes de mise en scène qui prouvent son intelligence et rappelle son attachement à la forme classique. La gestion de l'espace est chez lui (comme chez Spielberg) toujours très habile. L'utilisation fréquente de plans larges rend l'action lisible et augmente alors notre surprise quand ce dernier s'amuse à renverser soudainement le cadre lors des scènes épiques de courses poursuites en vaisseaux. Certains plans virtuoses parviennent même à capter dans un même cadre au ras du sol les mouvements nerveux de deux engins lancés à pleine vitesse, l'un en très gros plan, l'autre plus éloigné.


La mise en scène d'Abrams, plus généreuse, découle davantage de celle de Spielberg que de Lucas, et la forme générale du film ressemble bien plus à un film de super-héros Marvel qu'à Star Wars. Pas déplaisant loin de là. Au deuxième visionnage on apprécie pleinement la qualité de certaines séquences et la première demi-heure est à mon sens un sans faute. Reste à savoir si certaines images nous resterons en mémoire. Pour être sûr de cela, Abrams nous sort sa botte secrète : des plans hors normes. L'énorme apport d'Abrams dans ce film, c'est un goût prononcé pour le gigantisme. Le fossoyeur de films le rappelle très justement dans son « après-séance » (voir lien plus bas) : « Abrams a le goût du plan qui tape dans l'œil » et qui iconise immédiatement ce qu'il représente. Ainsi, le rapport de taille entre les individus et le décorum qui les entoure est parfois vertigineux. Ce sont les plans les plus saisissants du film. Ce style outrageusement titanesque était relativement absent des codes de mise en scène de Lucas qui favorisait davantage un montage fluide dans lequel aucun plan ne prend véritablement le dessus sur l'autre par le biais des rapports d'échelles aussi radicaux. Or ici ces plans iconiques nous sautent aux yeux : l'hologramme démesuré de Snoke, L'explosion non pas d'une planète mais de tout un système, la passerelle qui scelle le destin de Solo ou encore les vestiges des croiseurs impériaux sur Jakku...Ce dernier plan semble symboliser à lui seul la lourde tache du cinéaste : comment exister en tant qu'auteur dans les vestiges d'une saga hors-norme ? La métaphore est belle.


Il semble clair qu'une transition esthétique est en cours, pour autant elle n'est pas forcément rassurante car on ne sait pas ce que donneront les suites et à l'heure où Hollywood préfère confier ses films les plus couteux à des faiseurs plus qu'à des auteurs (Abrams est peut être le plus auteuriste des faiseurs) on est en droit de inquiéter. Comment conserver la cohérence des films précédents sans faire confiance à la vision d'un seul artiste ? Vous me direz la saga Alien y était parvenue, et je vous répondrai : oui...mais J.J Abrams, Riian Johnson et Colin Trevorow (J'ai mal à mon Jurassic Park) ce n'est pas vraiment Ridley Scott, James Cameron, David Fincher et J-P Jeunet !


Alors certes le cahier des charges est rempli : la direction artistique est impeccable, le choix d'un meilleur équilibre entre effets-spéciaux pratiques et effets-spéciaux numériques est salvateur, le fan service est (très) présent mais le plus souvent utilitaire et surtout (surtout) John Williams fait encore une fois un travail formidable, il suffit d'écouter le score entier sans le film devant les yeux pour s'en rendre compte. John Williams c'est 50% de la réussite de Star Wars et ce n'est pas Lucas qui dira le contraire. Mais voilà, malgré ces évidentes qualités et son sérieux, ce nouvel opus reste difficile à juger car si on sait très bien d'où il vient et l'héritage qu'il porte, on sait moins où il va.


En cela c'est un inévitable épisode de transition. Transition entre l'ancienne trilogie et la nouvelle à travers un renouvellement complet des personnages, entre l'auteurisme (pour ne pas dire l'autisme) de Lucas et la nouvelle logique hollywoodienne des faiseurs plus impersonnels, entre des systèmes narratifs et convenus mais efficaces et des nouveaux plus culottés mais incertains. Transition entre deux époques tout simplement et peut être nouvelle mutation du classicisme hollywoodien à l'heure ou celui-ci tourne à vide.


Star Wars episode VII est un habile passage de relais, un réenchantement non dissimulé. Mais tout reste à faire alors ne crions pas victoire. Si l'on suit la logique lucasienne de construction du mythe en trois actes alors l'épisode VIII sera déterminant, comme l'a été L'Empire contre Attaque (1980) en son temps.
Mais oui, je ne vous cacherai pas que voir ce sabre tendu humblement vers Luke au sommet de cette ilot désertique, ce passage de témoin symbolique accentué par ce travelling circulaire absolument kitch qui scelle le destin du héros d'hier et de l'héroïne d'aujourd'hui m'a profondément ému. Pour preuve mon cerveau bouillonne depuis une semaine à force de se poser sans relâche tout un tas de questions : pourquoi Luke est-il parti ? Qu'est-il arrivé à Kylo Ren pour qu'il passe du côté obscur ? Qui est Rey ? Finn va-t-il devenir un Jedi ? Il semblerait bien que la Force se soit réveillée.


Clément Levassort.


PS : Je ne peux que vous conseiller de visiter le site français Star Wars Universe. Celà vous permettra de découvrir le fameux univers étendu ou UE si vous n'êtes pas familier avec ce dernier (ce qui est mon cas). L'UE offre beaucoup de pistes de réflexion quant à la suite des évènements. Les récits qui se sont construits autour des films depuis plusieurs années maintenant sont tout simplement vertigineux et infinis. Il y a fort à parier que malgré leurs déclarations, les scénaristes de l'épisode VII aient pioché dans ce vaste réservoir d'idées. De quoi alimenter les spéculations pendant au moins un an ! Il se peut également que vous trouviez des similitudes entre certains de mes propos et ceux du journaliste de la critique récente de Mad-Movies. Ce n'est pas du plagiat promis ! Il se trouve que parfois les gens pensent la même chose et l'exprime avec les mêmes mots.


Références :


Essais :


Le rebel et l'empereur, étude sur Star Wars. Pierre Berthomieu, 2006
Hollywood le temps des géants. Pierre Berthomieu 2009
Hollywood le temps des voyants. Pierre Berthomieu, 2011


Articles :


Création D'ILM : http://www.ulyces.co/alex-french/lincroyable-histoire-du-studio-a-lorigine-des-effets-speciaux-de-star-wars-ilm/
Critique Mad-Movies : http://www.mad-movies.com/fr/module/99999735/2586/passe-recompose


Vidéos :


L'après séance : https://www.youtube.com/watch?v=D2Jpi6bIn1g&index=1&list=PLHT4ZvmtRHiKTcRhAnE2ItlKhSp4j_pcS
Star Wars : Empire of Dreams :https://www.youtube.com/watch?v=coPi6fvskF4

Clément_El_Vass
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le 26 déc. 2015

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