Ceci ne sera pas une critique, mais une sorte de curiosité manifeste. Je ne connais pas Dostoievski. Je me suis lancé dans ce livre avec comme seule idée qu'il s'agissait d'un livre sombre, peuplé de personnages férocement idéalistes et nihilistes, dont un en particulier, le fameux Stavroguine. Livre traduisant les angoisses de l'auteur, dépassé par ses personnages. Drame russe sur fond d'existentialisme larvaire, en somme. Voilà tout ce que j'ai pu lire en guise de présentation, à quoi je devais donc m'attendre. Etrange alors que le livre m'ait fait rire plusieurs fois par la finesse de ses caricatures (de personnes que je ne connaissais pourtant pas car c'est, à l'évidence, un roman à clé), et la subtilité de ses portraits psychologiques. Si vous vous sentez un peu méchant et d'humeur à rire de notre penchant raffiné pour l'hystérie, ne cherchez pas plus loin. C'en est parfois burlesque et à vous dégoûter une fois pour toute de "faire une scène". Ce livre pourrait d'ailleurs constituer une cure efficace contre toute propension à l'excès compassionnel, si le lectorat occidental n'était pas si avide d'exemples toujours renouvelés de la misère humaine, quand bien même on la lui collerait sous le nez à longueur de journée. Mais soit, ce lectorat est la raison d'être même du nihilisme, héraut des temps modernes.
Passons donc outre ce petit décalage dans la lecture, pour s'attarder un peu sur ce qui m'interroge vraiment, à savoir le problème de l'absurde condition de l'athée. Ici, j'aurais juste envie de poser quelques questions : N'est-ce pas un livre ? N'est-ce pas un des attraits de la littérature, de pouvoir, dans l'ambigüité la plus totale, nous faire mourir, même le plus atrocement du monde, et cela à loisir ? Il me semble que Kafka s'en réjouissait. Quel mal intrinsèque (et je vous prierai de peser mes mots) pourrait-il y avoir à se suicider conséquemment à une idée quand il s'agit de littérature ? N'est-ce pas là une formidable expérience ? Pourquoi y voir un avertissement, une espèce de sombre prophétie alarmiste, une impasse, quand l'occasion est simplement, merveilleusement donnée d'expérimenter l'extrême limite de la volonté humaine dans un paradoxe des plus purs, et d'y entrevoir, grâce à la puissance même de l'écriture, un au-delà ? Mais surtout, enfin, n'est-ce point cela, une tragédie ? N'y a-t-il pas meilleur destin à proposer à une oeuvre de cette envergure que celui de servir de nourriture fraiche à des lecteurs "pas dupes", toujours prêts pour tirer à bon compte sur les idéologies du passé tout en regardant son voisin pour se dire, qu'au fond, on est bien là où on est ? Je ne donnerai qu'un conseil, si vous comptez lire ce livre un jour : n'en faites pas un roman historique, les démons ne meurent pas.
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