La première fois que j’ai entendu parler de Black Mirror (Channel 4), c’était un pitch : Le premier ministre anglais est face à un dilemme ; pour sauver la princesse royale kidnappée, il doit avoir des rapports sexuels avec un cochon en direct à la tv et selon les règles du dogme 95.
Vous aussi ça vous interpelle, n’est-ce pas ? Par la suite, j’ai compris qu’il ne s’agissait que du pitch du premier épisode. Enfin, épisode est un terme pas forcément adapté ici. En effet, la saison 1 de Black Mirror c’est trois one shot, trois moyen-métrages d’un peu moins d’une heure et indépendants, même si traitant en fond des mêmes problématiques, tels que le poids des images, au sein de récits d’anticipation.
The National Anthem, le premier épisode, traite ainsi de l’influence des médias, et notamment des plus récents d’entre eux : internet et les réseaux sociaux, la problématique du viral et d’une société du divertissement. L’épisode connait plusieurs rebondissements et l’écriture d’une grande qualité nous assène un beau crochet : on est agréablement surpris par tant d’intelligence alors que le sujet est pour le moins casse-gueule, on est ébahis, on en redemande.
15 Millions Merits, second épisode, est à mon sens un peu en dessous du premier, car trop classique et premier degré. Il n’en reste pas moins très bon. Dans une société totalitaire à la croisée des plus grands récits de SF et d’une société du divertissement à son paroxysme, régie par une logique de consommation exacerbée, où tout est contrôlé selon un dispositif de jeux vidéos, de points gagnés, de points dépensés, de pubs obligatoires. L’esthétique futuriste ainsi que les thèmes (dont une extrapolation de la TV) sont peu originaux mais bien maitrisés, et permettent à l’intrigue de se développer tranquillement, avec un intérêt jusqu’au bout. Le cynisme de la télé-réalité est encore plus frappant, qu’à la liste des producteurs se trouve … Endemol.
Mais s’il y avait une seule raison de regarder Black Mirror, ce serait pour son dernière épisode, un chef d’œuvre : The Entire History of You (dont Robert Downey Jr a acheté les droits en vue d’une adaptation cinématographique).
Toujours récit d’anticipation, mais bien plus proche de notre réalité. Seul changement apparent, une technologie matérialisée par une puce que l’on place derrière son oreille, qui permet d’enregistrer tout ce que nous voyons, de le stocker, et de le revoir par la suite soit dans ses propres yeux, soit en le projetant sur un écran. Du génie, des google glass ++. Sauf que ça va encore plus loin. On dépasse le projet SixthSense. On dépasse Gordon Bell et sa Digital Life. On dépasse (mais là c’est pas dur) Final Cut d’Omar Naim. On transpose l’imaginaire MacLuhanien et cybernétique dans l’intime. Du génie. Et là, le détail qui sublime encore plus ce high concept : on peut manipuler ses images, accélérer, ralentir, revoir un passage, et puis, surtout, zoomer sur un arrêt sur image dans un instant de doute, façon Blow-up d’Antonioni. Du génie, vous dis-je.
Loin du bruit et de la fureur des deux premiers épisodes, celui-ci s’inscrit dans l’intime d’un couple, explore les sentiments humains sur fond de cybernétique, et livre ainsi un thriller intimiste phénoménal, ficelé à la perfection, magistralement orchestré.
Black Mirror, c’est la perle des séries britanniques, à la jonction des séries et du cinéma, et qui en moins de trois heures en dit plus que bon nombre de film. Cette proposition sur le poids des images, leur consommation et leur impact sur les masses et les individus est indispensable à quiconque prétend aimer les séries ou le cinéma.