Diffusée entre décembre 2015 et début 2022, The Expanse est l’adaptation en série télévisée du cycle de neuf romans de James S.A. Corey. Plus précisément, elle couvre l’histoire des six premiers romans et, à l’heure actuelle, il n’est pas prévu de septième saison. La série a reçu de très nombreux prix, notamment le prix Hugo de la meilleure présentation dramatique format court pour le dernier épisode des saisons 1, 5 et 6, ainsi qu’une nomination dans la même catégorie pour le dernier épisode des saisons 3 et 4, et pour l’épisode 4 de la saison 5. Les trois premières saisons ont été diffusées par Syfy avant que la série soit reprise par Amazon pour trois saisons supplémentaires.

Le point de vue adopté ici sera, comme vous le savez, celui de quelqu’un qui a lu les neufs romans avant de voir la série tv. Il est probable que le point de vue de quelqu’un qui n’aurait pas lu les livres, ou les aurait lus après avoir vu la série, sera différent.

Avant de donner un avis sur une adaptation télévisée, il est important de prendre en compte plusieurs contraintes. Tout d’abord, les contraintes techniques et budgétaires. En effet, même si les effets spéciaux numériques sont devenus époustouflants, ils ne sont toujours pas bon marché, surtout sur une durée totale de plus de 60 heures. Par exemple, il était impossible de montrer à l’écran la taille et la morphologie des Ceinturiens. On en a donc un bref aperçu dans le premier épisode, et les auteurs ont choisi pour la suite de les rendre identifiables par leurs tatouages sur le cou et le visage.

L’autre contrainte importante concerne la temporalité narrative : il faut pouvoir ramener l’action d’un roman en une dizaine d’épisodes. Il faut donc faire des choix, trouver des astuces pour relier les différentes séquences en un tout cohérent, et sacrifier une partie de l’histoire originale.

Et il faudra aussi accepter que le casting ne peut pas toujours inclure des actrices et des acteurs qui ressemblent beaucoup, physiquement, aux personnages des romans.

Les différentes contraintes prises en compte, il faut tout d’abord souligner que l’adaptation est une vraie, grande et belle réussite. L’univers des romans est magnifiquement reconstitué. Les stations surtout, Tycho, Cérès, Eros, mais aussi les vaisseaux, les différents habitats sur chaque planète ou satellite, les combats spatiaux, la protomolécule, l’Anneau, c’est un véritable sans faute visuel. D’autres dimensions sont aussi très bien amenées : l’argot des Ceinturiens passe plutôt bien (même si leur accent russo-irlando-jamaïcain est un peu déroutant), la musique est discrète mais efficace, et le design est réaliste mais dépaysant, à l’image de l’univers des romans.

Les choix narratifs sont aussi excellents, pour la plupart. Il y a bien sûr quelques scènes inutiles ou longuettes de-ci de-là, et quelques choix décevants. Par exemple, les scènes concernant Epstein tirées de la nouvelle Sous la poussée n’apportent absolument rien, et on aurait bien voulu voir le combat entre l’escouade de Bobbie et la protocréature sur Ganymède. Mais il s’agit de détails sans importance, et le rythme de la série est bien meilleur que celui des romans, précisément parce que les auteurs ont été obligés de redécouper l’intrigue. Tous les raccourcis obligatoires pour escamoter des pans entiers de l’histoire racontée dans les romans sont très finement amenés, et l’ensemble reste remarquablement cohérent. Même si, comme dans les romans, il faut par moments ne pas trop se poser de questions sur les choix de certains personnages ou sur le plausibilité de certains événements.

Un des moyens par lesquels les auteurs relient certaines séquences est la réécriture totale de certains personnages. Cela leur permet aussi de combler certains trous béants dans l’intrigue des premiers romans du cycle. Et ici aussi, c’est une réussite éclatante. La liste est longue mais les plus marquants sont probablement Cotyar, qui ne fait qu’une brève apparition dans La Guerre de Caliban mais qui devient un très chouette personnage de la série, Ashford, qui est à l’opposé du personnage de La Porte d’Abaddon et nettement plus intéressant (incarné par un formidable David Strathairn épatant de justesse et de subtilité), et Drummer qui, dans la série, est un amalgame de plusieurs personnages des romans et devient du coup une figure centrale qui apportera beaucoup de plaisir, malgré le jeu un peu caricatural de l’actrice Cara Gee.

Quant aux personnages qui épousent les mêmes contours que dans les romans, ils sont très fidèlement rendus (à une exception près). Certains sont même meilleurs dans la série, en particulier Miller, remarquablement interprété par Thomas Jane (The Mist, entre autres). Bobbie, Avasarala, Alex, Clarissa, Fred Johnson, Monica sont tous très bons. Même les personnages agaçants sont conformes à leur version littéraire. Steven Strait (10,000 BC) campe un James Holden totalement transparent et dénué de charisme, qui n’existe qu’à travers les personnes qui l’entourent. Elisabeth Mitchell (Urgences, Lost, …) avec ses yeux mouillés et son éternel sourire compatissant, surjoue l’empathie et incarne une Anna largement aussi insupportable que dans La Porte d’Abaddon. Et Filip est la parfaite tête à claques à l’écran qu’on imagine en lisant Les Jeux de Nemesis.

Le traitement du personnage d’Amos laisse perplexe au cours des premières saisons, avec ce portrait d’un psychopathe incapable de maîtriser ses accès de violence, à l’opposé des romans dans lesquels ses principaux traits de caractère sont justement le calme et le sang-froid. Mais cela s’arrange progressivement au fil des épisodes et des saisons.

Finalement, le seul crime de cette série (mais il est terrible) est le sort réservé au personnage de Naomi Nagata. Pourquoi avoir massacré celle qui était un des plus beaux personnages des romans ? Qui est cette espèce de connasse insupportable, capricieuse, pleurnicheuse, qui passe son temps à geindre, à taper du pied sur le sol, à empirer toutes les situations de mille manières différentes, à changer d’avis sur tout toutes les trois heures, toujours à côté de la plaque, toujours occupée à subir les événements, avec son air effaré ou ses yeux de bébé fâché qui retient sa respiration ? Ça n’est pas ma Naomi en tout cas. Chacune de ses apparitions à l’écran est une souffrance physique, et l’interprétation de l’actrice Dominique Tipper est, disons, d’une qualité qui ne sauve pas le personnage du naufrage.

Ce bémol est important mais il ne doit pas masquer les immenses qualités de la série. Certains moments sont littéralement inoubliables. Eros, Miller, les morts de Dresden et de Strickland, Ganymède, les échanges entre Prax et Amos, à peu près chaque apparition à l’écran d’Avasarala, Caliban dans la soute du Rossinante, le Béhémoth dans la Zone Lente, llos, …

Il ne faut pas hésiter à se lancer dans la série si vous avez apprécié les romans. Espérons aussi qu’elle donnera l’envie à ceux qui ne l’ont pas encore fait d’ouvrir L’Eveil du Léviathan. Car malgré ses défauts, l’univers de The Expanse restera comme une œuvre majeure de la SF contemporaine.

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