Je comprends sincèrement qu’on puisse être séduit par le cinéma de Tarik Saleh et notamment cette Conspiration du Caire… …Moi-même je reconnais avoir été en partie sous le charme : cette capacité à poser une atmosphère ; à installer des situations pesantes sur les épaules de pions qu’on brise ou qui broient, et surtout ce sens de l’équilibre entre le formalisme et le naturalisme ; entre les silences et le verbalisé... Tous ces attributs sont autant d’atoûts face auxquels je n’ai su rester insensible.

Ah ça !… Il y a dans ce film un charme certain qui opère. On sait poser des lieux ou des moments avec solennité, qu’il s’agisse des lourdes tables nervurées des hauts lieux saints ou bien des sérieuses mais intimes séances de pêche entre père et fils sur le lac Manzala. La photographie (magnifique) souligne les regards forts et les peaux creusées tout comme elle magnifie avec sobriété la sacralité tout comme la pesanteur des lieux. Dans cette Conspiration du Caire, ce monde du pouvoir terrestre et spirituel parle par l’intermède des visages et des pierres ; à travers les instants ménagés et les tensions diffuses, mais également au travers de quelques envolées lyriques d’autant plus percutantes qu’elles sont rares et sobres.

Pour ma part, je retiendrai notamment cet excellent moment de cette confrontation de récitations entre élèves durant laquelle Soleymane – d’un simple chant limpide – rappelle tous les Frères musulmans à la bassesse de leur posture rigoriste ; cette bassesse du médiocre qui répugne face à cette transcendance du verbe qu’il ne parvient justement pas à insuffler.

Malgré tout – et un peu à l’image de son grand frère Le Caire confidentiel – cette Conspiration du Caire a fini par me perdre en route, petit à petit, au fur et à mesure des minutes qui se sont égrainées… …Car quand bien même la mise-en-scène de Tarik Saleh est-elle habile et raffinée que son propos, lui, l’est beaucoup moins. Il y a finalement dans les enjeux de ce film quelque-chose de très didactique et surtout d’atrocement prévisible. Le méchant Etat autoritaire d’un côté qui entend caser son calife afin de tenir la population au sabre comme au goupillon ; de l’autre les vilains Frères musulmans qui sont austères par médiocrité et surtout incapable d’être exemplaires au regard de leurs propres prêches ; et bien évidemment au milieu de tout ça le pauvre pion qu’on n’hésitera pas à sacrifier d’un côté comme de l’autre. Et même si le procédé est amoindri par la subtilité de la forme il n’empêche que cela ne change rien au fond de l’affaire. Soit les situations sont prévisibles et attendues, soit elles peinent à convaincre de par leur artificialité ; pour ne pas dire de leur invraisemblance.

(Qu’il s’agisse du rapprochement Adam /Zizo, de la querelle entre Ibrahim et son supérieur, de la manière dont Ibrahim parvient à installer Adam au service du cheikh Durani, ou bien encore de la stratégie des faux aveux du cheikh aveugle, j’ai trouvé que tout cela faisait vraiment très grosses ficelles)

… De tout cela, j’en retire d’ailleurs cet étrange constat. D’un côté je suis ressorti de là en me disant que j’avais vu un beau film ; un film qui avait su graver dans mon esprit des images et des moments précieux… De l’autre je ne pouvais pas non plus ignorer l’impression d’avoir été confronté à une démonstration un peu facile (voire presque bête) et face à laquelle je suis resté globalement inerte. Alors certes, globalement je comprends qu’on puisse être séduit par le cinéma de Tarik Saleh, mais force est de constater que, me concernant, la séduction ici n’a su résister à ces classiques jeux de la mort et d’al-Ahzar…

Activité sur La Conspiration du Caire