La Mesías est une série espagnole, diffusée fin 2023 sur Movistar Plus+ et récupérée par Arte pour l’Hexagone. Cela n’aurait pas été surprenant d’y voir la mention "Inspirée de faits réels" tant les événements déroulés au cours des 7 épisodes - plus d’une heure chacun - sont suffisamment sordides pour “mériter” d’être adaptés à l’écran. Effectivement, les créateurs (Javier Ambrossi et Javier Calvo) ont puisé dans différentes œuvres à l’atmosphère marquante, ainsi que des faits divers similaires, pour les combiner en cette fresque puissante et bouleversante.

On la démarre avec Enric qui, lors d’un déplacement professionnel, rencontre d’abord un groupe d’individus persuadés d’avoir été en contact avec des extraterrestres, puis est ensuite ébranlé en visionnant le clip d’un girls band religieux qui ravive un passé douloureux - alors retracé au gré de séquences flashbacks croisées. On y est témoin d’une enfance délabrée, entre débauche et banditisme, faute à une mère instable et prostituée, en quête de reconnaissance. Emportée dans un délire messianique, elle endoctrine ainsi ses enfants de façon tyrannique. L’écriture des liens familiaux est prenante, à mesure que ce passé nébuleux rattrape le présent ; on est happé par ses enchevêtrements, ainsi que des choix de réalisation toujours captivants.

La Mesias régale d’une mise en scène envolée rappelant régulièrement celle de Xavier Dolan. Le plan séquence de l’épisode 4 est brillant et, en ce sens, l’alternance d’analogique et de numérique, ainsi que les variations dans la photographie au gré des années et l’utilisation récurrente de steadycam au cœur de l’action permettent de rendre cette proposition sérielle remarquable. La réalisation se montre, à plusieurs occasions, incroyable de part la réflexion apportée à la construction de séquences qui auraient vite pu tourner au ridicule au vu des thèmes et successions d’évènements. Derrière le sérieux apparent, le récit embrasse le surréalisme et se montre quelquefois incongru ; de quoi souligner davantage l’atypisme de cette production fascinante. Les deux Javier créent ainsi une ambiance mystérieuse, malsaine, et donnent l’impression au spectateur de lever peu à peu le voile d’un drame horrifique. Ce malaise qui court à travers les scènes est rythmé de main de maître, et chaque nouvelle séquence chamboule délicieusement le public à la façon d’un Aster, Peele ou Lánthimos. Le sens de la mise en scène pour l’expérimentation se rapproche également d’un Esmail, notamment ce montage d’orfèvre qui bénéficie d’un accompagnement musical pointilleux, de morceaux populaires à des pistes électroniques, en passant sur des compositions plus chorales et liturgiques, ou bien éthérées, émouvantes, ou encore anxiogènes ; l’alchimie musicale est parfaite.

Porté par des performances habitées, le scénario navigue de la foi intérieure aux étoiles, suivant le cheminement d’Enric pour retrouver son identité en devant faire face à un passé troublant. La Mesias est une série folle partagée entre les traumatismes de l’enfance et la recherche existentielle, dont l’ultime épisode - imprévisible - apporte une conclusion grisante, apothéose de près de huit heures d’orfèvre télévisuelle.

Activité sur La Mesías