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Laura Thieblemont

a attribué 8/10 au comics

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2015 • Comics de Richard McGuire

Résumé : Ici, un verre s’est brisé, une fillette a lacé ses chaussures, un bruit soudain a troublé les ébats d’un couple d’Indiens. Ici, un père a pris chaque année ses enfants en photo, une femme a demandé chaque matin à son mari : « Tu as tes clés, ta montre, ton portefeuille ? » Ici, deux garnements ont crié « Bâtard ! » au gouverneur royal du New Jersey. Ici, un tyrannosaure est passé, un bison s’est couché et, longtemps après que l’humanité aura disparu, deux colibris se disputeront le nectar d’une fleur. Ici, de Richard McGuire, couvre des milliards d’années, de l’apparition de la vie sur Terre jusqu’à un futur lointain, depuis un seul et unique point de vue : l’angle d’un salon, celui d’une maison de Perth Amboy, New Jersey, où l’auteur a grandi. Sur chaque double page – du moins de 1907 à 2111, entre la construction et la destruction du bâtiment –, deux murs, l’un percé d’une fenêtre, l’autre paré d’une cheminée, se rejoignent à la charnière du livre. Dans un coin de l’image, un cartouche donne la date. Sur la plupart des pages se superposent des cases, datées elles aussi. Elles montrent d’autres épisodes advenus en ce lieu précis, à une autre époque. Un vertige naît du rapprochement de ces scènes, fragments d’une chronique familiale, d’instants historiques, cataclysmes, scènes futuristes. Richard McGuire a imaginé ce procédé narratif en 1989, s’inspirant des fenêtres d’un écran d’ordinateur : le Macintosh avait cinq ans. Son récit de six pages en noir et blanc, publié dans la revue Raw, avait ébloui Chris Ware (Building Stories, Delcourt, 2014), qui le cite comme l’une de ses influences majeures. Vingt-cinq ans après, développée en un livre, l’idée a donné naissance à une symphonie graphique. Un staccato des faits quotidiens scande les amples mouvements du temps géologique. Les motifs se croisent et se répondent, surgissent, énigmatiques, puis reviennent, désormais familiers, s’éclairent soudain d’une signification nouvelle. Le regard s’attarde à scruter les détails d’époque fidèlement restitués : les coiffures et les vêtements, les générations de canapés, de papiers peints. L’œil savoure une lumière à la Hopper ou la douceur d’un Vermeer, une bulle évoque une mélodie d’Armstrong ou de Nat King Cole… « La vie a le don de faire rimer les événements », observe Benjamin Franklin au détour d’une page. Ici le montre de façon magistrale. (An.F. LeMonde.fr)