On pardonnera aisément à David Pajo de se lover, tendrement, inoffensivement, dans des pop-songs qui cassent franchement des briques ? à défaut d'abattre des cloisons. Car côté démolition de murs qui ouvrent de vastes horizons, des brèches gigantesques où peuvent s'engouffrer des générations entières, David Pajo n'a plus rien à prouver à qui que ce soit.Que ce soit avec Tortoise ou, surtout, ses fondamentaux Slint, il a ainsi été l'un des plus habiles et intraitables artificiers qui ont permis au rock, depuis le début des années 90, d'aller voir, de l'autre côté de ses murets, s'il n'y était pas. Et le rock y était, un peu hébété par cette liberté gagnée, par ces espaces grisants, par ces reliefs aussi neufs que vertigineux. Faute de mieux, on appela cette terra incognita le post-rock ? et Pajo fut l'un des premiers à y poser son pageot. On pardonnera donc, sacrément même, à Pajo de s'offrir un trip nostalgique dans la pop-music de l'enfance, cette musique d'avant les combats, d'avant les enjeux, quand un album en vinyle ouvrait des fenêtres dans l'ennui adolescent et fournissait des amis autrement plus excitants, riches et généreux que les garçons et les filles de son âge. Car plutôt que de s'offrir, en joli trip régressif, un album de reprises-caprices (de Nick Drake à Bert Jansch, de Tim Hardin à Big Star), Pajo est descendu dans cette cave vaste et fascinante que demeurent les sixties pour se mesurer, d'homme à homme, de vivant à vivant, avec ce songwriting. Et réussit, exploit admirable, à dénicher des mélodies vierges, des atmosphères intactes dans un vocabulaire pop-folk que l'on pensait épuisé, évidé, rabâché. Jamais ramenarde, jamais ostentatoire, la production de Pajo fait comme si tout cela avait été enregistré dans une étable de Woodstock, maaan, avec de l'herbe entre les doigts de pieds et dans la pipe, sans additifs, sans colorants. Comme souvent désormais quand la flamme pop vacille sous les baisers glacés du spleen, on pense ici régulièrement à feu Elliott Smith, pour ces atours où s'enchevêtrent, avec souplesse et élégance, soie et bure, taffetas et haillons. L'album s'appelle 1968 et il sent l'opium : sous les pavots, la plage, donc. (Inrocks)