Christopher par Benoit Baylé
Contrairement à ce que l’intitulé laisse penser, aucun des trois membres de Christopher ne s’appelle de la sorte. Le nom est en réalité dérivé du Saint, Christopher : les musiciens attribuent d’eux-mêmes des affiliations religieuses à la sonorité du groupe et se revendiquent clairement porte-paroles de la foi divine. Originaires du Texas, où religion est, encore aujourd’hui, traditionnellement omniprésente, Richard Avitts (guitare), Doug Walden (basse/piano/chant) et Doug Tull (batterie) se rencontrent lorsque, issus d’une jam session avec le Jefferson Airplane, Avitts et Tull envisagent de fructifier leur entente musicale autour d’un groupe sérieux. Mais il leur manque un chanteur. Quelle chance alors quand Doug Walden se présente à eux, ce dernier étant en plus bassiste… Le groupe ainsi créé, United Gas, embrasse les formes du power trio. Malheureusement, pour la maison de disques Metromedia, avec qui le trio vient d’acquérir un contrat de deux ans, la sonorité de cette première dénomination rappelle trop le groupe californien Pacific Gas & Electric… Contraints à changer de nom, et conscients de la musique qu’ils allaient proposer à leur public, Walden, Tull et Avitts optent pour Christopher, et insistent auprès de Metromedia sur la teneur boisée et terrestre de la pochette de l’album à venir : selon eux, leur art, en plus d’être en communion avec Dieu, l’est aussi avec mère Gaia. Il faut dire que, époque oblige, les trois, en particulier le moins pieux Tull qui tentera d’ailleurs de se suicider, sombrent dans la drogue ; cela ayant pour conséquence le retardement de l’enregistrement et donc de la sortie du premier album éponyme. Finalement, les sessions studios californiennes s’achèvent et permettent la publication de Christopher, courant 1970.
Côté musique, le trio emprunte à différentes influences de l’époque. Cream d’abord, par la voix de Walden très similaire à celle de Jack Bruce et le jeu d’Avitts, semblable, avec moins de talent, à celui d’Eric Clapton (« Dark Roads »). Néanmoins, l’aspect religieux de la musique vantée par Christopher les pousse à abandonner les simples gammes blues-rock de Cream, déjà désuètes en 1970, au profit d’une musique plus mystique, plus apprêtées à jouer des mélodies et des lignes harmoniques, tout en enrichissant les instrumentations d’un éclectisme sympathique. Ainsi, la flûte et la guitare folk du médiévalo-spirituel « Magic Cycles », côtoient, au sein du même ouvrage, les élucubrations plus basiques du simple chant/basse/guitare/batterie de la dispensable « Lies » ou de « The Wind », l’argument blues psychédélique de l’album. Christopher emprunte également de manière substantielle, en tout cas pour les titres plus calmes, aux amis de Jefferson Airplane dans la fabrication d’ambiances embrumées teintées d’un blues/folk discret (« In Your Time »). Spirit peut être cité parmi les références de l’album, malgré une emprise moins importante que les deux précédentes. Quoiqu’il en soit, Christopher est un album solide pour quiconque n’est jamais rassasié par la période heavy psychédélique, 1967/1973. Il pourra néanmoins lui être attribué quelques reproches : malgré un savoir-faire bel et bien présent, le trio manque de folie, à la fois dans la composition et dans l’interprétation. Quelques bons titres jalonnent l’ouvrage (principalement les plus axés blues : « Dark Road » notamment, très efficace) mais ils pointent son principal défault : l’hétéroclisme malvenu, parfois soporifique de Christopher. Les titres ne se ressemblent pas mais ne profitent pas non plus du fil rouge nécessaire à l’élaboration d’une ambiance générale. Tout ceci manque sérieusement de cohérence et de directivité. Malheureusement, malgré un potentiel certain, le trio se démentèle et ne produira pas de suite à cet éponyme. L’histoire underground n’en a cependant pas terminé avec Doug Tull, puisque celui-ci part battre les fûts pour Josefus, dont l’album Dead Man Alive gagne chaque année de nouveaux admirateurs, essentiellement collectionneurs.