Dialogue
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Dialogue

Album de Bobby Hutcherson (1965)

Chez les autres, en tant que sideman, Bobby Hutcherson s'appliquait à suivre les compositions de ses collègues et parfois amis musiciens. Mais dès lors qu'il put graver des disques en leader chez Blue Note, une grande partie de sa carrière oscilla entre hard-bop élégant et expériences d'avant-garde. A l'image d'un titre d'un de ses nombreux fameux albums Blue Note, le projet d'Hutcherson était de créer avec son vibraphone, des "patterns", c'est à dire des structures complexes avec un même motif, des notes répétées, identifiables. On pourrait même probablement parler de "textures" chez lui. Et c'est un fait, le vibraphone de Hutcherson, ses sonorités doucement salées, son jeu, sont identifiables du premier coup.


C'est donc avec Dialogue que le monsieur va inaugurer une riche et assez féconde carrière solo avec des passages fascinants et d'autres, certes plus convenus, mais ne manquant pas de sel. Premier album qui n'en est pas un puisque peu avant, le vibraphoniste gravait "The kicker" initialement prévu en 1963 mais qui ne sortit que bien tardivement en... 1999 ! Là où le line-up de The kicker (Grant Green et Joe Henderson en tête) laisse entrevoir un album de hard-bop mélodique à souhait, l'alliance du pianiste Andrew Hill et du batteur Joe Chambers, qui signent chacun (4 titres pour Hill, 2 pour Chambers) tous les titres de l'album indique une direction inattendue.


Ce n'est donc pas la facilité que choisit d'emblée Hutcherson. Une manière évidente de montrer que le vibraphone n'est pas qu'un instrument pour "musiques molles" (je ne le pense pas qui plus est). Ici chacun des titres a besoin d'être écouté et réécouté pour être pleinement apprécié. Mais une fois que c'est fait, on ne peut qu'être sidéré. A l'instar d'un Herbie Hancock signant Inventions & dimensions, Hutcherson choisit d'explorer toutes les possibilités de son instruments dans d'étranges configurations. La possible comparaison s'arrête nette : Hancock n'avait pu sortir son album directement à l'époque sur le marché américain, Blue Note l'ayant jugé anticommercial ! Voilà ce que c'est d'être en avance sur son temps. Qui plus est, Hancock s'imposait comme seul maître à bord, seul instrumentiste en soliste (pas de saxo ni trompette hein, juste des instruments qui vont soutenir en rythmique le piano de Hancock, seul instrument dès lors à jouer en dehors des contraintes et des cases... ce qui ne rend le disque que plus fascinant) sur des structures répétitives. Alors qu'ici, Hutcherson, même s'il n'écrit les titres, fait jeu égal avec les autres musiciens dans un album à son nom propre.


Personnellement je préfère les titres écrits par Hill qui s'avère plus mélodiques à mon sens et en même temps presque plus "figuratifs" dans leur jeu. Par exemple avec un titre comme "Les noirs marchent" (en français dans le texte !), la batterie fait figure de tambour de guerre, martial. La trompette rythme cette marche en avant qu'on peut imaginer d'une manière cinématographique avec la musique. Ghetto lights indique une déambulation nocturne sur fond du saxo rêveur de Sam Rivers. Quand à Catta qui ouvre l'album (un de mes titres préférés ici), c'est un mambo porté formidablement par le piano de Hill là où le saxo devient presque Coltranien. Le tout traversé d'une tension qui ne faiblit jamais. Et n'oublions pas le savoureux et fascinant Idle While et sa flûte magique.


Avec Dialogue, Hutcherson montrait qu'on allait devoir compter avec lui, qu'il n'était pas juste "le mec qui jouait son petit bidule joli dans le fond, caché derrière un Grant Green par exemple". Il allait maintenant falloir ouvrir le dialogue, compter sur lui, parler avec lui. Et nul doute que l'auditeur prendrait la parole et l'écouterait.

Nio_Lynes
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le 5 mai 2017

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