Cet album constitue, pour l'auditeur sentimental que nous sommes, un sommet de classe et de talent, tant les forces en œuvre ici donnent un résultat intimiste, tout en retenue -- jazzy enfin. Pour autant, le mystère demeure plein pour celui qui en vient à écouter pour la première fois ce CD. Que donne en effet l'une des rencontres les plus importantes du jazz, à la fois inattendue et impressionnante ?
Il faut dire que le CV des deux compères en impose : d'une part, le vieux Lion revenu de tout, figure phare du Swing style Big Band avec Basie durant les 30's ; puis lancé dans le courant Jungle -- cf. Money Jungle. D'autre part, l'homme révolutionnaire Coltrane, dont les expérimentations modales s'affranchissent toujours plus des conventions. Comment ces deux-ci vont alors s'aborder -- avec défiance, remise en cause ; si tant est qu'une communication demeure possible ?
Et là, ô miracle : la musique créé témoigne à la fois d'une admiration réciproque, d'un respect mutuel donnant lieu à un jeu tout en élégance ( dédicace à Slowdive, il s'y reconnaîtra ). Plutôt que de vouloir étouffer son ainé, Coltrane l'accompagne et le sublime, permettant même à Ellington de prouver à son auditoire quel fantastique instrumentaliste il était. Quant à ce cher John, il serait tel Picasso démontrant, au sommet de sa gloire, que la maîtrise totale de son art n'est plus à refaire. Là, son jeu s'en retourne à quelque chose de plus classique, posé aussi. De là, un pas est franchi assurément, en disant que Coltrane semble ici rendre hommage à ses prédécesseurs ainsi qu'à ses mentors de jadis. Un mood rappelant tantôt la mélancholie d'un Coleman Hawkins, tantôt la gaieté d'un Dizzy Gillespie en son domaine...
Venons-en enfin aux pistes : La version de In a sentimental mood jouée ici demeure sans conteste la plus connue -- Coltrane et Ellington ont le talent de nous en offrir une version "définitive", pourrait-on dire. Celle-ci élève le mot de mélancholie à sa signification la plus haute. L'impression, par de simples sons, de voir un homme errer seul à travers les rues de New-York, ressassant ses malheurs ou ses espoirs échappés...à vous rendre triste un clown, vous dis-je !
Vient ensuite la gaieté avec des morceaux comme " Take the Coltrane", " Big Nick". Morceaux qui traduisent l'immense plaisir de jouer ici, de communier au-delà des générations et des clans musicaux l'essence même du jazz. Ce que la piste finale nommée " the feeling of jazz" nous indique une fois pour toute.
Voilà plusieurs raisons, entre autres, qui font de cet album un grand album