Il est difficile pour moi d'écrire sur la musique de Liz Harris tant elle me touche profondément. Depuis que j'ai laissé sa chance à Ruins (2014), son chef d'oeuvre qui trône comme fondation de mon amour pour la musique ambiante, j'ai attendu avec impatience un nouveau projet complet de Liz. Les excellents Paradise Valley (2016) et Children (2017) devaient d'abord être ses ultimes adieux à la musique, mais c'était sans compter sur une semaine et demie de créativité débordante qui a vu naître Grid of Points.
Grouper a toujours su capturer les sentiments les plus profonds que la musique puisse provoquer. Que ce soit par l'utilisation du silence, de la réverbération des instruments et de ses qualités vocales indéniables, elle a réussi à faire ressortir des sensations qui étaient enfouies jusqu'alors. Ruins m'a transporté dans un monde de regrets et d'introspection intense, se transformant peu à peu en hymne de ma personne. Quand les singles Parking Lot et Driving (2018) ont trouvé le chemin de mes oreilles j'ai dû m'adapter à la nouvelle direction que prenait Liz. Les similitudes entre les deux albums sont pourtant frappantes; on reste dans le registre de folk ambiant avec des performances vocales passagères, éthérées.
Cependant, Grid of Points est bien différent de son prédécesseur tant dans les thèmes abordés que dans la construction même des morceaux. Ici Liz évoque clairement le sentiment du manque, de l'absence d'équilibre émotionnel, de l'être incomplet. L'écoute attentive favorisera l'introspection dans ce qu'elle a de plus terrifiant à mes yeux: l'égarement de mes propres fondations. L'impression que quelque chose de vital n'est pas là. Un trou béant dans la construction de soi, dans mon développement émotionnel.
C'est à ça que je reconnais les albums qui feront toujours partie de moi.
Tout cet univers sonore est porté par la production minimale des sept courts morceaux. Ici et là on peut entendre une grande inspiration, une cassure de la voix avant la reprise d'une phrase, la juxtaposition de plusieurs enregistrements au sommet des lignes, un léger délai vocal, le changement de gain sur le piano, l'ajout de bruit blanc dans le mix accompagnant un fade out... Autant de détails qui se déploient au fil des écoutes. Je laisse le temps à ces 21 minutes de s'imprégner de mes sens pour me plonger dans un univers froid, désolé et dont la douleur est persistante.
Je ne suis évidemment pas masochiste et je retire une immense satisfaction à l'écoute de Grid of Points. Pour moi la provocation des démons internes par la musique n'est pas une expérience négative, bien au contraire. Écouter Grouper est toujours agréable et ce dans plusieurs cas. Il y a l'écoute active dont j'ai décrit tous les effets et puis il y a l'écoute passive, en fond. J'ai bien conscience que la plupart des auditeurs de cet album en retiendront surtout un excellent album d'ambient. Il n'est pas nécessaire de comprendre les paroles ni le message que véhicule Liz pour apprécier cette oeuvre. Après tout, c'est le but de l'ambient de pouvoir relaxer et réconforter les âmes tourmentées.
L'enregistrement de Grid of Points fut interrompu par une grosse fièvre de Liz Harris qui, terrassée par la douleur, préféra laisser l'album dans son état embryonnaire. Je ne pense pas qu'il aurait dû être plus long que ça. Sa création et son abandon, espacés d'une semaine et demie, font parfaitement écho aux sensations qui brillent à travers sa tracklist.
9.5/10 - chef d'oeuvre