Suite à la sortie de "Freak Out!", Nick Venet, représentant de Capital Records (ayant e.a. découvert The Beach Boys) a commandé à Frank Zappa un disque de musique orchestrale. Il faut savoir que FZ, à l'âge de 16 ans a été subjugué par l'oeuvre "Ionisation" d'Edgard Varèse, et cela se ressent sur cet opus, son ombre y plane, mais les mélodies sont bien du pur Zappa.
Cela faisait longtemps que FZ rêvait de réorchestrer d'anciens morceaux qu'il avait en tête, ce fut donc chose faite en février 1967 où il eut à sa disposition un orchestre étoffé comprenant d'excellents musiciens de studio d'Hollywood, qu'il baptisa pour l'occasion "Abnuceals Emuukha Electric Symphony Orchestra".
Malheureusement, FZ était lié par contrat avec MGM, et, c'est donc sincèrement qu'il composa ces morceaux, qu'il dirigea l'orchestre d'une quarantaine de musiciens, sans lui même jouer d'aucun instrument, pensant ainsi respecter les règles. MGM ne l'entendit pas de cette oreille, et l'album ne sortit finalement qu'à un nombre d'exemplaires limité en format cartouche 4 pistes (bande magnétique sans fin qui eut son heure de gloire dans les années 60). Il faudra attendre 2009, et l'édition du coffret "Lumpy Money" pour voir ressurgir des ténèbres cette première version de "Lumpy Gravy", nettement différente, plus mélodieuse que la version MGM de 1968. Je dirais que cette première mouture est également influencée par le compositeur Stravinsky, ainsi que le monde du jazz, de la pop et du rock, ce qui finalement correspond plus à ce qu'il nous a habitué jusque là, tandis qu'il ira dans une destructuration radicale qui rebutera même certains de ses plus fidèles fans dans la version MGM.
Musicalement, on assiste à des compositions pour orchestre de musique contemporaine, proche de l'univers musical d'un Edgard Varèse. Finalement rien d'étonnant à cela. Par contre, ce qui est plus intéressant, c'est que FZ nous donne un avant-goût de ses recherches musicales futures. On trouve effectivement ici son goût de la mélodie bucolique télescopée avec des musiques tendues, entrecoupées de tensions orchestrales, de retours au calme, d'explosions paroxystiques ... il y a sans cesse un jeu entre interventions orchestrales et solistes ...
C'est percutant par moments, à d'autres lancinant, mais on ne s'ennuie pas, pour peu qu'on est ouvert aux oeuvres concertantes contemporaines. Tout au long de l'album, court de 22 minutes, on retrouve les signatures qui le caractérisent ... il s'en donne à coeur joie, on sent qu'il a beaucoup de plaisir à diriger cet orchestre, mais qu'il le fait avec beaucoup de sérieux ...
Preuve en est, l'attitude au début des séances d'enregistrement, du percussionniste Emil Richards qui ne prenait pas FZ au sérieux, estimant qu'il n'était qu'un guitariste de rock, ou bien le guitariste Tommy Tedesco qui se moqua de Zappa, estimant qu'il ne savait pas ce qu'il faisait. Tous deux à la fin des sessions d'enregistrement, reconnurent son talent, devenant même ami avec lui.