Grand Huit
Après nous avoir balancé deux albums aux forceps, riffs meurtriers saccagés par des coups de grisous assourdissants, Dream Theater raffûtait sur les rivages durcit d’un métal ombrageux. Du coloriage...
le 15 janv. 2012
6 j'aime
J'ai du mal à me faire un avis définitif sur cet album.
Après un Train of Thought sans réel concept, on a là un vrai travail sur la forme, qu'on peut résumer en une seule phrase, extraite de la chanson-titre, "The story ends where it began." Cet album est le 8e de la formation new-yorkaise, et le dernier avec leur maison de disque, Elektra (après quoi ils signeront avec Roadrunner Records). Ils ont donc voulu marquer le coup avec un album qui symbolise une octave : la première chanson, The Root of All Evil est en Do, la deuxième en Ré, et ainsi de suite jusqu'à Octavarium qui est à nouveau en Do. Oui, comme la gamme, qui à la huitième note revient à la note de départ. Ce qui fait que chaque tonalité était en quelque sorte imposée, ce qui mine de rien ne facilite pas la tâche.
Et si c'était tout ! Tout dans cet album tourne autour des nombres 8 (nombre de notes dans une octave) et 5 (nombre de bémols dans une octave, vous savez, les touches noires sur le piano). Regardez le titre : 5 consonnes, 5 voyelles. Regardez les artworks, les 8 portes et 5 murs du labyrinthe où est enfermée une araignée à 8 pattes, les 3 oiseaux sur la photo avec les 5 membres du groupe, les chiffres sur les dominos... Rendez-vous par ici pour un recensement exhaustif du nombre effarant de détails (en anglais).
On retrouve cette symbolique dans la chanson-titre, Octavarium donc, où on trouve 8 sections, 5 chantées et 3 instrumentales, pour un total de 24 minutes pile. À la fin de cette chanson, on retrouve la note de départ de The Root of All Evil, la boucle est bouclée, le groupe peut commencer un nouveau cycle, il est libéré de sa maison de disques. 24 minutes, en plus d'être 8x3, c'est aussi le nombre d'heures dans la journée, à la fin duquel on revient au début (à 0)...
Enfin bref, c'est complètement magistral de faire un album aussi cohérent de ce point de vue.
Pour aller plus loin sur cette idée de cycle, une impression m'est venue lors des plus récentes écoutes. L'impression que chaque chanson répond à la précédente, comme un dialogue entre deux personnages.
Ainsi dans The Root of all Evil, le personnage A (ces personnages sont issus de mon interprétation que je n'ai trouvé nulle part ailleurs) nous fait part de ses problèmes d'alcoolisme certes (la piste fait partie de la série des Alcooliques Anonymes, "Ô Cave à Rhum !" s’écrierait Mike Portnoy mais je m'égare), mais aussi de ses très nombreux péchés : orgueil, avarice, cruauté, égoïsme... Autant de vices dont il est prisonnier.
Or dans le morceau suivant, The Answer Lies Within, le personnage B lui répond de ne pas avoir peur, et de profiter de sa vie comme elle vient ("You're gonna be fine now").
Mais notre personnage A s'enfermerait dans sa paranoïa ; ainsi dans These Walls, on le voit de plus en plus perdu, enfermé dans une spirale destructrice.
C'est là que vient I walk beside you, qui comme son nom l'indique prouve le soutien encore une fois de personnage B, qu'il assure indéfectible.
Rien à faire, Panic Attack nous montre le personnage A complètement dément, "helpless hysteria".
À partir de là mon histoire est un peu trop capillotractée pour être réaliste. Le personnage B, agacé de tant donner sans que jamais A ne lui en soit reconnaissant ("everything is never enough"), décide que c'est fini.
Sacrificed Sons, chanson écrite par LaBrie, arrive un peu comme un cheveu sur ma soupe puisqu'elle fait référence explicitement au terrorisme et au fanatisme religieux, et assez implicitement au 11 Septembre. La chanson abandonne toute référence à une personne en particulier alors que les 7 autres sont écrites à la première personne... Soit on décide que notre personnage A, devenu fou, a commis un attentat, soit c'est un évènement extérieur qui vient chambouler les considérations somme toute assez égoïstes de nos deux personnages, soit cette chanson est carrément à mettre entre parenthèses. Soit j'ai tort et je ferai mieux d'aller marcher un coup au lieu de me passer Octavarium en boucle.
Car Octavarium contient, elle, plusieurs passages qui pourraient laisser penser que l'on parle du personnage A, à l’hôpital, en train de délirer. Première partie, Someone like him, le "him" est le personnage B ; Deuxième partie, il sort du coma à l’hôpital ; troisième partie, il délire (Intervals), de façon explicite cette fois, résume chaque chanson en une phrase, pour finir sur le mémorable "trapped inside this Octavarium", et la conclusion, the story ends where it began, qui laisserait penser que l'histoire se répèterait à l'infini.
Je ne sais pas si cette théorie tient debout, elle repose sur des fondations il faut le reconnaître très fragiles, mais c'est la seule façon que je peux avoir de donner un véritable sens à l'album. Parce que sinon, il faut le reconnaître, tout cet emballage n'est qu'une coquille vide. La qualité des pistes de l'album prises individuellement est en effet très inégale.
The Anwer Lies Within, I Walk Beside You et Never Enough manquent carrément d'inspiration, elles sont peu intéressantes tant du point de vue des paroles que de la technique, allant chercher chez U2 et Muse une inspiration qui semble avoir abandonné le groupe. Bien sûr, elles se laissent écouter, mais elles lassent vite.
En vis à vis, je considère The Root of All Evil et Panic Attack comme des chansons assez formidables, dans la droite ligne de l'album précédent Train of Thought. Les paroles sont remarquables, les riffs novateurs et efficaces, les rythmes complexes.
Entre les deux, je place These Walls et Sacrificed Sons, deux chansons intéressantes et d'une construction très honorable, voire remarquable pour Sacrificed Sons, mais qui n'arrivent pas vraiment à me toucher : These Walls est vite oubliée, et Sacrificed Sons souffre de la comparaison avec In the Name of God, tirée de Train of Thought.
Octavarium. Ah. Une intro qui ne peut pas ne pas rappeler celle de Shine on you Crazy Diamond, on peut y voir une espèce d'hommage, "The story ends where it began", comprenez "Quoi que Dream Theater aient pu apporter au rock progressif, ils finissent toujours par revenir aux maîtres, Pink Floyd". D'ailleurs on retrouve dans la partie III, Full Circle de multiples références à de nombreux groupes de rock progressif, tels que Genesis, Yes, The Who, Spock's Beard... Cessons de tourner autour du pot, ce morceau est un pur chef d'œuvre : Dream Theater a réussi à faire une chanson de 24 minutes intéressante du début à la fin, aux paroles intelligentes, à la fois unique et multiple... Une longue montée en puissance jusqu'à un dénouement formidable. Chaque musicien touche de l'or, notamment Jordan Rudess aux claviers et John Petrucci aux guitares... La production est elle aussi magnifique.
Octavarium, malgré sa mauvaise réception critique, comporte donc d'indéniables et remarquables qualités. C'est aussi un album plus orienté vers le grand public, et c'est d'ailleurs un de ceux qui se sont le mieux vendus, on revient en quelque sorte à Images and Words. C'est d'ailleurs peut-être un des meilleurs albums pour découvrir le groupe. Mais je ne peux pas m'empêcher de le trouver assez peu inspiré, et c'est la chanson-titre qui sauve les meubles.
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Créée
le 19 févr. 2013
Modifiée
le 8 mars 2014
Critique lue 1.2K fois
21 j'aime
12 commentaires
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