En tant que mâle blanc cisgenre alpha bien portant à la sexualité ma foi relativement ordinaire, je n’imaginais pas un seul instant qu’un élément extérieur puisse remettre en cause 25 années de constructions sociale et sexuelle. C’est en effet sans aucune honte que je considérais ma sexualité comme étant extrêmement classique mais néanmoins épanouie, revendiquant fièrement mon statut de député général du UMEPD (Un Missionnaire Et Puis Dodo), parti conservateur réactionnaire situé à droite de l’échiquier politicoïtal. Un Éric Zemmour de l’érotisme, en somme.
Et pourtant. Cet élément extérieur s’est présenté à mes yeux il y a un mois, sous la forme d’un agrégat circulaire de polycarbonate recouvert d’une fine pellicule réfléchissante d’alliage d’argent. Avec One Breath, tout a changé. J’ai compris qu’on pouvait prendre du plaisir dans la douleur, matérialisée ici par une claque auditive intensément sensuelle. Fini le missionnaire, à moi la jouissance des jeux de domination, du BDSM, et du fétichisme des oreilles !
Mais assez parlé coït et politique (Berlusconi, si tu m’entends…), et concentrons-nous sur la musique. Car excusez la pénibilité du jeu de mots qui va suivre, mais One Breath est un album à couper le souffle.
Symphonie en cordes majeures
Et excusez la redondance du jeu de mots qui va suivre, mais si One Breath est un album à couper le souffle, cela tient plus de son utilisation magistrale des instruments à cordes que des instruments à vent. Les arrangements de cordes sont absolument sublimes du début à la fin, et offrent des moments de pure extase musicale ; au fracas des guitares saturées de Love of my life et Cry répondent la sensualité des violons de Sing to me ou One Breath, mettant ces deux instruments au cœur de la trame narrative et émotionnelle de cet album.
La patte d’Anna Calvi est toujours reconnaissable, notamment dans les deux premiers morceaux Suddenly et Eliza qui nous plongent dans l’ambiance d’un western « Tarantinesque » grâce au jeu de guitare si caractéristique de la chanteuse. Bien qu’ayant servi de singles promotionnels à la sortie de l’album, ces deux morceaux agissent en trompe l’œil (l’oreille ?). Car la suite, bien plus ambitieuse, réussit à élever le second projet de l’Anglaise au rang de chef d’œuvre.
Got to be the love of my life
L’auditeur est alors invité à voyager dans des paysages soniques grandioses, où transparaissent les influences lyriques et symphoniques d’Anna Calvi. Désir, érotisme, et violence se mêlent tour à tour dans sa voix pleine de sensualité, portée par une instrumentation reflétant le déchirement des émotions de la chanteuse : parfois simple et dénudée, quelquefois brutale et à la limite du dissonant, mais toujours extatique et envoûtante.
La réussite de cet ambitieux pari créatif n’aurait probablement pas été possible sans l’apport du producteur John Congleton (Lana Del Rey, Chelsea Wolfe, Blondie…), qui réussit à apporter un remarquable équilibre entre la sensibilité de la voix d’Anna Calvi et la puissance symphonique de l’orchestration. Cette notion d’équilibre est parfaitement illustrée dans les excellents Bleed into me et Sing to me : une simple ligne de guitare comme point de départ, sur laquelle vont se greffer petit à petit d’autres instruments pour aboutir à des envolées lyrico-symphoniques qui feront frissonner la chair et raviront l’oreille.
One Breath est un enchantement musical, une invitation au pays des merveilles auditives, mais surtout la confirmation de l’immense talent de la virtuose Anna Calvi. Plus audacieux que son prédécesseur, cet album ne fera probablement pas l’unanimité parmi les fans de la première heure, mais trouvera aisément sa place parmi mes CDs cultes.
- En quelques mots : Un voyage au pays des merveilles auditives
- Coups de cœur: Piece by piece, Cry, Sing to me, One Breath, Love of
my life, Carry me over, Bleed into me
- Coups de mou : Tristan
- Coups de pute : RAS
- Note finale : 9