Prom King
6.3
Prom King

Album de Skylar Spence (2015)

Le monde musical fut en émoi lorsqu'il apprit en janvier 2015 le tragique et inattendu décès de Saint Pepsi.
Pourtant, les premiers symptômes auraient du nous alarmer.
A 21 ans et deux années d'activité, ce jeune homme avait déjà produit huit albums. On aurait alors pu penser au burnout, mais en fait c'était bien pire que cela : Saint Pepsi allait être tué par l'industrie mainstream. Il signa chez Carpark Records (le label de Beach House et Memory Tapes) et changea son nom pour éviter de plus amples problèmes judiciaires. Pour un artiste qui vivait de samples non crédités et de détournements de l'imagerie de la consommation, une telle normalisation signifiait une mort certaine.


Plus encore, le premier single paru sur ce label, "Fiona Coyne", était en dissonance totale avec l'univers de Saint Pepsi. Si ce dernier produisait de la vaporwave/du future funk/de l'indie-dance-nu-disco-exprimental-avantgarde-pop, ici nous n'avions que de la pop pure et dure ! Des claviers sautillants, un riff démentiel et sucré, une voix et des paroles mièvres. C'en était trop ! Il aurait du rester dans la moule et suivre patiemment les codes de la musique underground des années 2010 : faire son cratedigger, sampler de vieux morceaux désuets, et les modifier à foison ("Slowed some music down, called myself an artist"), et sortir tous les six mois une nouvelle mixtape qui sera amplement discutée par trois personnes sur Reddit.


Mais Saint Pepsi eut une révélation.
"Can't You See" nous raconte comme celui qui allait devenir Skylar Spence sortit un jour par hasard et perdit le contrôle de lui-même. Ivre à une soirée, il fit apparemment des choses regrettables. Mais plutôt que de se replier sur lui-même en conséquence de cet échec, il décida d'en profiter pour s'affirmer enfin.
Ainsi se démarquait-il définitivement d'un genre musical dont la principale caractéristique est de ne jamais réussir s'assumer (d'où les perpétuels changements de noms, actes de décès, trahisons et autres mises en scène).


Skylar Spence respire tellement la confiance qu'il chante désormais sur ses propres titres ! Une voix qui n'a rien d'exceptionnel et c'est tant mieux : cela ne la rend que plus unique. Elle coïncide parfaitement avec l'ambiance légèrement naïve et décalée des morceaux.


"Hit Vibes" se démarquait de la masse des productions internet par sa complexité. Certes, Saint Pepsi ralentissait des morceaux et les mélangeait entre eux, mais ces derniers étaient parfois si déformés qu'ils en devenaient méconnaissables. Ce qui dénotait une certaine envie chez Ryan de produire quelque chose d'original, quelque chose qui vienne vraiment de lui.
Et maintenant qu'il est paré de confiance en lui, il se déchaîne.
"I Can't Be Your Superman" commence par une alliance guitare/basse agressive et violemment funky pour ensuite se muer en charge vindicative où Skylar témoigne que malgré ses efforts, il ne peut pas tout faire pour son entourage.


"Fall Harder" parait déjà plus calme au premier abord, avec ses accords lumineux et estivaux. Mais la frénésie disco typique de son auteur reprend par la suite. C'est certain, Skylar Spence assume désormais parfaitement son image de nouveau-nouveau romantique (qu'il exprime notamment sur sa page Facebook par son amour pour Duran Duran). Fini le temps des copies, voilà maintenant qu'il s'approprie complètement sa musique.


"Prom King" est une métamorphose surprenante. Saint Pepsi n'a pas changé son style, et pourtant Skylar Spence semble tellement différent de son prédécesseur. Inutile de crier à la trahison, ou de lancer des "c'était mieux avant" : l'album est une réussite, bien plus hétérogène et frais que ses précédentes productions.
Un changement d'ère salvateur, qui garde le meilleur du passé et laisse de côté les petits défauts qui pouvaient toucher Saint Pepsi, comme son manque de variété ou sa fainéantise.

Mellow-Yellow
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le 8 juin 2017

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