1 douzaine d'abeilles 1 ver 1 lame de fond 4 musiciens 1 bible 1 chien 1 chefon d'oeuvreur
"Things are fine odd
But we all like it EVEN
This is EVEN"
Cardiacs - Eden On The Air
Clochettes hésitantes, oscillations rêveuses, suivi de peu par une voix doucement singulière supportant un chant contemplatif, candide, distant; quand soudain !... Jaillissant d'intermittents accords de basse, des gnomes euphoriques scandant d'étranges incantations font leur apparition... Voix d'un autre monde dont cette première chanson est certainement un des portails.
Univers maritime, recouvert en permanence d'un impénétrable brouillard, traversé par des vents et courants anarchiques, grouillant de créatures saugrenues sur de petits ilots disparates dont les cris déchirés, les esclaffements, les fanfares, les obscures histoires et autres sons orgiaques transpercent la brume et parviennent aux esgourdes de l'aventurier, perdu, heureux bien qu'apeuré et couvert de vase. Les émotions provoquées par l'écoute de cet évangile sonique peuvent, en effet, s'avérer aussi diverses que contradictoires et ne peuvent pas - à mon sens du moins - tenir de l'indifférence, on peut même trouver cela rance (Note historique de 0/10 attribuée à l'époque par le magazine Vox). Passé de l'autre côté du miroir, accueilli par le héros ver, les saynètes surréalistes commencent à s'enchainer, dans le cadre d'une traversée qui s'avèrera, au final, bien riche en incongruités.
Cet album, un territoire bizarre, donc, est un reflet de l'âme d'un petit homme du nom de Tim Smith, généreuse, sensible, parfois putride, toujours singulière. Le poète - appelons-le ainsi - utilise un langage musical qu'il n'a eu de cesse de perfectionner depuis la formation du groupe en 1977 (Notons qu’à 16 ans, déjà, le petit Tim composait des pièces fort goûtues!). Un lexique musical à base de signatures rythmiques sans cesse changeantes, de refrains grandiloquents amenés étrangement subtilement, de codas noueux, d'utilisations répétées du mode lydien, de progressions harmoniques très originales, etc...
L'instrumentarium a toujours été un constituant important de la musique de Cardiacs, à différent niveau bien sûr ; dans les antiquités du groupe on trouve déjà 3-4 synthétiseurs produisant des sons aux timbres très distincts afin d’offrir de belles couleurs, pour cet album ils y sont allés à cœur joie ! Guitare, basse, batterie, jusque-là rien de bien foufou, saxophone, trompettes, violon, ciseaux et même un quartet à cordes ! Les claviers sont toujours très présents, d'autant plus qu'avant la sortie de l'album précèdent, le brillant « Heaven Born and Ever Bright », il y a eu plus ou moins un changement de claviériste. Le bucolique William D. Drake - Dont il reste alors au sein du groupe son instrument fétiche créé, selon la légende, tout à fait par erreur: Le Television Organ! - a laissé la place à un certain Jon Pool. Jon est un féru de Frank Zappa, dont il a réalisé un album de reprise, et, de Tim Smith dont il a, en quelque sorte, fait honneur avec la formation du groupe Ad Nauseam et la sortie l'obscure cassette « 4 Little Boys » ; un hommage, parce que TOUT dans ce projet - Qui d'ailleurs n’est pas référencé sur SC - suinte Cardiacs, de la musique tonitruante jusqu'aux paroles des chansons ; aucun doute n'est possible. Tim Smith et les 4 petits bonhommes pas dans le vent se sont donc rencontrés, à la suite de quoi Jon Pool et Bob Leith (batteur) ont rejoint le groupe séminal... Ouroboros... Je développe un petit peu sur ce nouvel arrivant car non content d'être un excellent musicien, il peut se targuer d'avoir offert un des plus étranges soli de guitare qui soit sur « Fiery Hand Gun », - Ah oui... Il est aussi guitariste le bougre ! - il compose aussi admirablement bien. Le quart d'heure de musique qu'il propose dans ce Sing to God est simplement grandiose : « Horse’s Tail » très riche en rebondissement avec des riffs de guitare particulièrement destructeurs, « Manhoo » sucrerie pop à la basse ronflante (Entre autres...Tout est sublime !) et le retour de l'euphorie « gnomesque » du debut du disque (En fait les gnomes se nomment Sarah Smith et Claire Lemmon), la brève mais intense doublette « Bell Stinks » / « Bell Clinks » et l'assourdissant « Angleworm Angel ». Ebouriffant!
La production n'est pas en reste puisque Tim Smith endosse aussi la casquette de producteur maximaliste, donnant au son de l’album une épaisseur dû au fourmillement de détails qui n’avait encore jamais été égalée dans l’histoire du groupe et je m’aventurerai à rajouter : dans l’histoire de la musique en général… Mais j’en fait peut-être un peu trop… Les détails imperceptibles au cours des premières écoutes sont légion ; depuis que j’ai découvert cet album il y a environ 4 ans et avec de très nombreuses écoutes il m’arrive encore d’être surpris ! Je suis peut-être un peu c.n aussi…
Du côté des textes c’est tout à fait insondable également… hallucinés, blasphématoire, plutôt abscons (nonsensical), parfois adorables aussi… Le spectre hideux de William S. Burroughs plane sur les contrées enchantées de Lewis Carroll. C’est à se demander si pour la conception de son bestiaire notre joyeuse bande de lurons n’a pas eu recours à la cut-up technique ou, à l’instar d’un Robert Fripp, à des pillages délibérés d’obscures ouvrages de littérature britannique, mais je m’égare …
Il est vraiment difficile de rendre hommage à un tel album… Et, il est encore plus ardu de lui assigner une étiquette… Mais de ce dernier point, qu’est-ce qu’on s’en fiche !! C’est Cardiacs. Les termes « pop » et « psychédélisme » sont ceux convenant le mieux à Tim Smith durant les tentatives désespérées des journalistes à coller un nom vernaculaire à son œuvre, à l’avatar de son âme. Le pire ayant été le néologisme abscons PRONK (Progressive Rock+ Punk =Beurk…). Pop, restons sur ça!
Cependant de petits indices sur la musique qu’admire le fameux compositeur sont disséminées dans l’album saurez-vous les trouver ? … Bon, il y a « Nurses Whispering Verses » une reprise d’une ancienne composition dont le titre est un hommage à une chanson de Slapp Happy, un autre groupe de pop bien singulier : « In The Sickbay ». Ou encore « Wireless » qui est un gros hommage à un titre du groupe de krautrock Faust : « Läuft...Heißt Das Es Läuft Oder Es Kommt Bald...Läuft » du moins avant que le morceau ne mute en fable sur un poisson plus rapide qu’une torpille qui fait couler les bateaux sur fond de cliquetis de ciseaux ! C’est agaçant, vraiment... Il y a tellement de choses à dire sur ce disque mais il va falloir s’arrêter. J’aurais pu parler du final majestueux de ce même « Wireless » que n'aurait pas renié Ralph Vaughan Williams marquant la fin du premier testament sur un ton inattendu ou du GARGANTUESQUE crescendo qu’est « Dirty Boy » et qui ouvre le second, de l’absolument charmant « Odd Even », etc… mais une pareille énumération s’avèrerait assez vaine. Écoutons et rêvons, c’est tout… Parce que, après tout, c’est fort possible qu’il n’y ait pas de paradis…
-FUCK OFF ! -