Lorsqu’il s’agit de Stadium Arcadium, on retrouve souvent les mêmes chefs d’accusation – pertinents, certes – de la part d’une critique globalement négative, voire sévère envers un album qui n’en mériterait pas tant. On reproche aux Red Hot d’être passé du côté obscur de la pop, un virage entamé sur By The Way 4 ans auparavant, voire déjà du temps de Californication pour certains. Si la funk/fusion de BSSM et ses prédécesseurs est en effet un vague souvenir à l’écoute de monolithes FM comme Snow ou Tell Me Baby, pour moi la griffe des kids de LA est toujours bien présente et je me demande même si les détracteurs en question se sont parfois donné la peine d’écouter l’intégralité de ce double album.
Double album, parlons-en ; 28 titres séparés en 2 CDs qui se veulent modestement planétaires : Jupiter et Mars. Un pari risqué pour n’importe quel groupe, peut-être encore davantage pour des Red Hot déjà quadras et sortant d’un épisode By The Way mouvementé. Mais la double galette se révèle étonnamment homogène, ne baissant d’intensité que sur quelques titres plus anecdotiques, tels Strip My Mind sur la géante gazeuse et If ou Animal Bar sur la voisine rouge. Le reste est porté à bout de bras par une production impeccable, et notamment la patte d’un John Frusciante qui a trouvé son cheval de bataille, avec un son que l’on retrouvera volontiers sur quelques titres de son Empyrean 3 ans plus tard.
Forcément, Stadium a son lot de « tubes », au sens profondément négatif que la critique voudra bien conférer à ce terme. Et on n’en voudra pas au quidam d’avoir été saoulé par les singles matraqués sur les ondes dès l’été 2006. L’overdose de Snow était réelle, et l’OVNI Hump de Bump n’aura peut-être pas eu l’impact attendu. Mais en allant chercher plus loin que les 5 premières pistes de chaque disque, on trouve de magnifiques compositions qui, à mon sens, subliment le répertoire d’un groupe qui n’avait plus rien à inventer dans le funk rock.
Stadium Arcadium fait pour moi réellement la différence sur ces titres méconnus cachés derrière d’exubérants singles. Les Red Hot ont appris à maîtriser la ballade pop sans la rendre niaise et mielleuse comme sur l’album précédent, et livrent un sans-faute sur Wet Sand et Hard To Concentrate. Le retour aux sources funk est de mise sur Storm In A Teacup ou Warlocks, et Chad Smith montre sur Readymade et sa détonante rythmique qu’il est bien à la hauteur de sa réputation. Mais comme je l’évoquais plus haut, le vrai génie est dans le son de Frusciante, avec les impeccables She’s Only 18, Slow Cheetah, et a fortiori Turn It Again et son outro démentielle. Especially In Michigan achève un tableau subtil mais délicieux, avec la participation de l’inévitable Omar Rodriguez Lopez, et s’impose parmi les meilleures compositions de Stadium Arcadium, au côté des trois précédentes.
Evidemment, le revers de la médaille est immédiat : de tels titres sont quasi inexploitables en live, et les années qui se sont écoulées depuis la sortie de SA le confirment. L’arrivée de Josh Klinghoffer sur la fin du SA Tour en 2007 aura donné aux fans la chance d’entendre So Much I ou encore She’s Only 18, mais guère plus. Et ce qui faisait donc la grande force de l’album en studio est son talon d’Achille en live, où les Red Hot nous servent par défaut toujours plus de Dani California, Snow et Charlie. Un comble pour un groupe qui puisait son énergie dans ces incroyables jams, ces outros mythiques sur Give It Away ou Don’t Forget Me, et qui se retrouve coincé par un album profondément anti-scène.
Alors oui, Stadium Arcadium mérite d’exister au côté de BSSM, Californication et One Hot Minute sans avoir à rougir. Le virage est raide mais bien négocié, et l’empreinte est réelle. Le dernier vrai album des Californiens, et un beau clap de fin pour son génial guitariste. Oh clean it up, Johnny!