J'ai longtemps repoussé le moment de m'attaquer à ces mastodontes que sont Dream Theater. Je commence donc avec cet album, plutôt controversé semble-t-il, bien que pour moi il n'y ait pas sujet à controverse. Enfin, à chacun d'en juger.


S'il est une chose qui fait l'unanimité, c'est que Dream Theater a atteint son apogée avec Metropolis Part II, deux albums avant celui-ci. Ensuite, les avis divergent. Pour certains, Dream Theater est enfermé depuis dans une boucle temporelle, et ressasse inlassablement les mêmes choses, sans jamais réitérer l'exploit qu'est leur chef d'œuvre. Ceux-là, à mon avis, n'ont pas tout bien écouté, et je les invite à se poser au calme, avec ce CD dans le lecteur et le livret de paroles en main, et à ouvrir les oreilles. Le voyage peut commencer.


Certes, il manque un petit quelque chose à cet album. Mais la bande de Berkeley n'en reste pas moins un panthéon du rock à elle seule. Et la virtuosité de chacun des musiciens est perceptible ici : il faut écouter les solos de guitare de Petrucci, notamment celui de As I Am, le sublime duo clavier/voix qu'est Vacant, la ligne de basse de Stream of Consciousness ou encore les rythmes étonnants de la batterie de Mike Portnoy, notamment sur This Dying Soul.


Cet album n'est pas, comme les deux précédents, un concept album, et on ne peut que s'en désoler tellement ce groupe les fait bien. Toutefois, il a bien une unité : cet album est sombre, très sombre. Il dégouline de désespoir, de haine parfois. Il est sombre sémantiquement : les thèmes de chacune des chansons (dans l'ordre, rébellion, alcoolisme, isolement, relation conflictuelle entre un père et son fils, voyage après la mort et religion, tout un programme) sont tous abordés avec un pessimiste certain, sans exception. Mais surtout, il est sombre musicalement : jamais encore Dream Theater ne nous avait sorti un album aussi torturé.


D'entrée de jeu, l'intro de As I Am annonce la couleur,suivie par son refrain. This Dying Soul, tentative de Mike Portnoy de soigner son alcoolisme qui s'échelonnera sur 5 albums (rien que ça !), transpire le désespoir notamment de par ses riffs. Stream of Consciousness, instrumental de 12 minutes, s'il brille par sa virtuosité, n'est guère plus joyeux. In the Name of God enfin, nous dépeint moult massacres à grand renforts de riffs dantesques. Les moments calmes, comme le début de Endless Sacrifice ou la ballade, Vacant, restent tristes, et ne sont que des calmes avant la tempête. Même les artworks sont sombres : le disque est noir, la jaquette glauque et torturée, le livret tout en noir et blanc (plutôt noir que blanc).


En définitive, c'est bien là la caractéristique principale de cet album. C'est du metal, noir, dantesque. En effet, avec certains albums comme Falling into Infinity, on avait presque oublié le "metal" dans "progressive metal". Cet album est là pour nous le rappeler.


Pour autant, Dream Theater n'abandonne pas le "progressive", pour filer la métaphore (et me faire mousser :D). Tous les morceaux durent une dizaine de minutes, si l'on excepte Vacant qui est de toute façon une intro à Stream of Consciousness. Presque 1h10 de musique en 7 pistes, et pas une seule minute inutile. Les signatures de tempo sont toujours aussi folles, les instruments toujours aussi excellents. D'importants efforts, et un très bon niveau, même pour Dream Theater. Les riffs, notamment, sont dans la lignée de Home.


Il faut cependant l'avouer, il faut faire un reproche au groupe. Ils ont beau avoir presque créé le genre, en faisant apparaître dans le metal des rythmes... arythmiques, il faut bien reconnaître qu'il n'y a plus d'innovation de ce côté-là. Tout y était déjà presque dans Images and Words, et jusqu'à Six Degrees of Inner Turbulence, on pouvait encore dire qu'ils peaufinaient le Metal Progressif... Mais en 2003 cela n'a déjà plus rien d'original. Dream Theater sont imités, d'autres groupes s'engouffrent même dans la porte qu'ils ont ouvert pour aller encore plus loin... Or, le prog, c'est le contraire, c'est toujours explorer de nouveaux univers, ne jamais se reposer sur ses lauriers. Ce que ne fait pas cet album, se contentant de faire du Dream Theater sauce metal.


Il en reste que c'est pour moi le seul défaut de l'album, et qu'en dehors de ce fait, c'est une pure réussite, poussant plus loin la folie qu'on avait déjà entraperçue dans quelques chansons et l'amenant à son paroxysme. De plus il n'est pas exempt de recherche musicale, avec notamment Honor Thy Father où James LaBrie explore de nouvelles possibilités vocales, ou encore certains solos toujours plus innovants.


Surtout, s'il manque d'unité, on peut le voir comme un recueil de nouvelles, chaque chanson prise individuellement (sans exception !) étant un chef d'œuvre, à la fois de technicité mais aussi d'émotion (qui est loin d'être absente).


Je me préparais à conclure sur les chansons les plus marquantes, et je me rends compte qu'il faut toutes les citer : l'hymne qu'est As I Am, Endless Sacrifice un poil emo, This Dying Soul technique et torturée, l'épique et tragique In the Name of God, l'original et haineux Honor Thy Father et bien sûr le virtuose Stream of Consciousness, meilleur instrumental enregistré par Dream Theater à ce jour.


En bref, cet album est une pépite, dans laquelle Dream Theater renoue avec ses racines metal. Évidemment, c'est moins accessible, ça ne plaît pas à tout le monde, ça surprend, ce qui peut expliquer le virage musical pris dans l'album suivant (Octavarium), beaucoup plus pop. Mais peut-être est-ce pour cela que Dream Theater est un si bon groupe : quoiqu'en disent les aigris, aucun album ne ressemble à un autre. Encore et toujours, ils nous surprennent.


Voilà, j'espère que vous avez apprécié l'écoute ; si vous n'êtes toujours pas convaincus que nous avons affaire ici à des Dieux, allez donc m'écouter Dragostea Din Dei de O-Zone, c'était la même année après tout, et certainement beaucoup plus novateur.

Nordkapp
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le 27 janv. 2013

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Nordkapp

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