Quand ça va pas trop je mets We Cool?. Avec ses rythmiques punk, ses petits synthés sautillants et ses chœurs bons à beugler bourré dans une fosse pleine de sueur, il a absolument tout pour déplaire à ma copine : un album feel good, bien gentil, bien niais. Un album qui pue la bière et les copains. Des copains Jeff il en a plein, il joue avec, et quand il les regarde du coin de l’œil il a du mal à se retenir de rire et il arrive à peine à chanter, ‘fin à gueuler (il chante pas très bien). Il a trop de chance ce type ! Je devrais monter un groupe comme lui, vivre de ma passion, raconter ma life dans des textes que personne lira de toute façon parce que les textes on s’en fout, c’est la musique qui compte, c’est l’émotion. Et puis We Cool? c’est un album feel good, fait pour se vider la tête, pas pour se la prendre.
Sauf que non.
Derrière ses airs de troubadour du punk, Jeff Rosenstock est un type comme la scène en regorge : un mec en galère, de taf, de thunes, un mec qui ne sait rien faire d’autre que de la musique et dont le seul exutoire est de mettre des accords sur ses problèmes pour en faire des albums. We Cool?, c’est ça. L’album d’un gars qui a perdu toute confiance en soi, au point de préférer rester seul de peur de ralentir même ses meilleurs amis qui ont sans doute mieux à faire.
So don't wait for me, you're better, you're fine when I'm alone
I can't wait forever so I'm drinking beers again alone
(Beers Again Alone)
L’album pue la bière et les copains, oui ; mais la bière que tu bois seul, chez toi, parce que les copains ont grandi et fait des gosses pendant que tu continues à te mettre des pintes à des house shows (Get Old Forever). Comment expliquer aux gens que c’est ça que tu veux faire, quand tes propres parents ne parviennent pas à masquer leur déception (The Lows) ; quand tu ne sais même plus si la nausée du matin te vient de la soirée de la veille ou de ce sentiment de fuite permanente, de cette boule au ventre qui depuis quelques temps te réduit à éviter tes proches.
I called up some folks I truly love and hung up after they said hello
I got so tired of discussing my future, I started avoiding the people I love
(Nausea)
We Cool? parle de tout ça, des amis qui s’en vont, qu’on nous enlève ; de la vie de musicien et de sa précarité ; du doute, de l’INQUIETUDE, de la honte. Mais de quelle manière ! Le disque est remarquable dans son ton, dans la manière avec laquelle Jeff choisit de nous emmener dans ce monde-là. Aux complaintes mineures, il préfère les hymnes catchy, à l’image de l’enchaînement Polar Bear/Hall of Fame. L’album est feel good parce qu’il l’a voulu ainsi, parce que la réalité est suffisamment angoissante pour s’en lamenter. A nous donner envie de l’y rejoindre… mais à y réfléchir, on y serait presque déjà.
When I listen to your records, I don't need to look at pictures
It's like I'm hanging out with you
(You, in Weird Cities)