Sur les symphonies de Bruckner de ce coffret.
Pour des raisons de violation de droits, il a été décidé avec les propriétaires des premières éditions que Robert Haas apporte des modifications significatives afin de pouvoir publier les symphonies de Bruckner. Sans parler de l'esthétique recherchée à l'époque où il travaillait (les années 1930) pour gagner un plus large public, esthétique associée à l’idéologie nazi de son temps (il fallait du lourd, du majestueux, du lent, du solennel...)
Et même avec l’édition plus tardive (et plus juste) de Leopold Nowak, il est presque devenu une tradition de conserver ces déformations si on les compare aux premiers manuscrits et aux premières éditions originales que nous connaissons (comme les premières éditions de Gutmann), avec des indications très précieuses et précises de la main de Bruckner lui-même (diverses indications pour le chef, tempo, etc.)
Haas a pratiquement tout gommé dans ses éditions des années 1930 ! Et les chefs qui se sont succédés après-guerre ont tout simplement oublié comment Bruckner souhaitait qu'on joue ses symphonies. Le statisme, la lourdeur des crescendos et la solennité qu'on impose dans de nombreuses directions de ces symphonies après 1945, étaient en fait totalement étrangers à l'univers musical et sonore du compositeur !
C'est un compositeur qui est devenu une caricature de lui-même : on a associé à ses symphonies des directions statiques et solennelles, comme celles de Karajan ou de Celibidache (pire encore lorsqu'on les joue dans des cathédrales, un non-sens total), alors que Bruckner compose ses symphonies à l’époque où l’on jouait sur les tempi globalement bien plus allègres de la tradition classique viennoise, puis schubertienne, et surtout avec cette logique de flexibilité du tempo, issue de la méthode de direction wagnérienne.
Wagner a en effet écrit un traité sur la direction d'orchestre qui a énormément influencé la manière de diriger en son temps.
De nombreux chefs oublient par exemple de jouer les premiers thèmes des premiers mouvements, très souvent écrit "alla breve" (2/2), beaucoup plus "sautillant" (à la Schubert), pour les jouer en 4/4, et ainsi manquer par la suite la différence de tempo qui intervient après l'arrivée des seconds thèmes.
Les premiers chefs interprètes de Bruckner ne faisaient qu’interpréter les indications manuscrites de Bruckner. Ce qui est parfaitement logique, ces premiers chefs ayant connu directement cette tradition (oral ou lors de répétitions) de la direction wagnérienne, très familière à l'époque.
Depuis Haas, les intentions interprétatives d'origine se sont donc progressivement perdues, et ce n'est que récemment qu'on redécouvre une manière de diriger bien plus authentique.
Il faut donc écouter de toute urgence ces vieux enregistrements d’Hermann Abendroth, mais aussi ceux de Wilhelm Furtwängler, Oswald Kabasta ou encore Volkmar Andreae.