Monologue opératique d'un désespoir noir d'encre
Par Mathias Kusnierz
Plus le temps passe et plus Scott Walker se refuse à la moindre facilité. Toujours à rebours des tendances (en pleine vague psychédélique, il écoutait Tony Bennett ou Sinatra), mais praticien d'une singularité aiguë, sa carrière a aussi souvent été entourée de malentendus : longtemps Walker n'a pas joui du succès qu'il méritait, ou il a été quasi ignoré dans son pays. Il a fallu la reconnaissance de Bowie et d'Eno en 1978 pour le changer en légende vivante, mais l'aura des légendes voile la vérité des musiciens et la carrière de Walker a continué d'être reçue à contretemps. Le plus singulier dans le parcours de Walker, c'est que plus le temps passe, plus il devient moderne, tout en restant singulièrement à l'écart du canon de la modernité. Walker flotte au-dessus des tendances et les effleure sans jamais s'y laisser prendre, par exemple lorsqu'il enregistre Climate of hunter en 1984 et fait semblant de payer son écot au post-punk et à la new-wave. On voudrait bien voir dans Bish Bosch une suite directe de The Drift.
Il y a bien certaines formes qui reviennent hanter l'espace musical : les guitares aux sonorités abrasives, les blocs de sons orchestraux dissonants et en nappes, directement prélevés chez Ligeti, Xenakis et la musique spectrale, les voix sépulcrales aussi. Bish Bosch n'est pas un terrain totalement inconnu. Il est pourtant plus abstrait, plus ésotérique et aussi moins cryptique que The Drift. Le précédent album était un album puissamment politique, et d'autant plus qu'il délivrait ses charges explosives de manière cryptée, comme des mots de passe qu'on se refilerait entre malfaiteurs. Walker a commencé à écrire les morceaux de Bish Bosch vers 2009. Comme toujours, la genèse a été longue et, plus que jamais, le disque semble le résultat d'un processus d'épure. Il est aussi moins inquiet (enfin, façon de parler...) que The Drift. Il faut dire que Walker s'est davantage entouré (Guy Barker à la trompette et BJ Cole à la pedal steel guitar, Mark Warman à la direction d'orchestre), lui qui ne joue qu'avec des compagnons de longues dates. Bish Bosch est aussi plus aéré, moins oppressant que The Drift (mais si peu !). Il est aussi moins lisible : alors qu'on pouvait se saisir de The Drift comme d'un disque politique, on peine à trouver le principe qui ordonne Bish Bosch, malgré quelques allusions aux dictateurs du siècle dernier. (...)
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