S’annonce d’office comme une naissance, le début des prémices d’un petit qui sera grand (COMME ÇA). Le Tangerine Dream balbutiant, la méditation électronique sans synthés MAIS avec Jimmy Jackson et Thomas Keyserling même si ils furent oubliés à l’heure des crédits – pourquoi, comment, Jimmy l’orgue biblique, Thomas la flûte foldingue – oubliés sur le papier mais pas dans les oreilles avisées. Discret, il fallait se faire, soit. Petit derrière le grand Schulze, le déstructureur névrotique et sa batterie avide d’horizons. Tribale, libre, possédée, arythmique – est-ce bien raisonnable ?... – Môssieur n’en fait qu’à sa tête dirait-on. Alors un petit tuuut (petite flûte flûte flûte) et on se cache bien vite. Que l’on m’oublie. Une douce nappe retirée loin de l’orgue orgiaque du futur qui n’est pas encore, un susurrement incertain mais sans qui de cohérence point. Ça murmure en coulisse, tend l’oreille, c’est pas rien. Pas novateur en vérité, pas même un peu osé mais judicieusement étouffé. Faut savoir s’en contenter.
Se souvenant plutôt des furieux, des insatiables et bientôt transfuges – Schulze bientôt chez Ash Ra Tempel et Schnitzler (appelons le Conrad) chez Kluster – qui s’en donne comme si l’avenir déjà écrit les poussait à créer pour une si brève postérité. Conrad, discutable virtuose prodigieusement déjanté tripatouille ses violons et violoncelles avec l’énergie du désespoir. Pour qu’en sorte un petit bout de nirvana, une fragile éclosion, éphémère, si vite balayée, tout juste bonne à être saccagée par une rythmique hallucinée. De cette impossible pluralité nait le premier son Tangerine Dream, encore tout gluant, fraichement dégurgité par le gourou Froese qui, d’un œil troublé (balayé ci et là par un voile de folie passagère), chapeaute l’ensemble créatif, l’air ailleurs, guitares à la main, mixant l’inmixable. Encore si jeune, influençable et influencé. Free jazz pas si libre, Krautrock tellement trop rock. Ha ça veut s’échapper, sortir du cadre et parfois même avouons qu’il y parvient, le grand gourou Tangerinien, que l’évasion est approuvée, que le voyage dans le cerveau en flamme apporte son lot d’instantanés éternels que n’oublieront que les aliénés, que le délirant Ashes to Ashes est aussi bref que ravageur.
T’as là la crème de la crème de l’avenir qui s’ignore encore. T’as là l’expérimental bafouilleur sans queue ni tête. T’as là les têtes pensantes qui enfanteront l’expérimental vrai, avec du cœur et des neurones. T’as là les germes du minimalisme et les dérives sans fondement des prétentieux contemporains. T’as là, mais attention à te concentrer un brin, les fondations de Zeit mais c’était difficile à prévoir. Des fondations qui, et c’est de coutume, seront sagement enterrées, bien tassées, pour bâtir en temps venu le grand rêve de Froese. Froese qui ne paye pas de mine, gratouillant ses guitares, dézinguant ses soli, drôle de type. C’est son premier rejeton, son croquis, son gribouillis nerveux. Ho il l’a poli, il l’a choyé, il l’a tourné tourné tourné. Mais il n’a pu planquer les contours sous ses nappes multi-instrumentales bariolées. Il n’a pu dissimuler les accrocs dans le tissu musical. Ho les camarades ont abandonné la barque avant le deuxième coup de rame. Ho le voilà seul Edgar. Pas pour longtemps.