Il avait pris son temps après High Hopes et le Boss est déjà de retour, une année seulement après Western Stars. L'ambiance est hivernale, Bruce pose sobrement et revient, dans une nouvelle décennie, évoquer ses thématiques de prédilections, avec ce qu'il faut de mélancolie et renforçant des valeurs qui lui tiennent à cœur, à commencer par l'amitié et le retour aux racines.
Letter to You, son 20ème album studio, lui permet de raconter son Amérique, celle rurale, d'évoquer, plutôt de façon indirecte, la politique, mais surtout la vie et ses étapes, avec authenticité et nostalgie. C'est bien aux américains qu'il parle et chante sa lettre, ne fait aucune distinction de couleur ou de religion, et, juste avant les élections de 2020, rêve d'unité et d'espoir. C'est aussi un album sur le deuil, plusieurs fantômes traversent l'album, les siens et ceux de proches, on le ressent tant dans ses propos que sa musique.
Enregistré dans des conditions lives, Letter to You lui permet de retrouver un E Street Band en grande forme, dans lequel on retrouve notamment Jake Clemons (le neveu de Clarence), l'éternel Steven Van Zandt ou Max Weinberg, qui n'a rien perdu de sa force pour participer à la rythmique implacable. On remarquera aussi une production propre et nette malgré ces conditions tandis que le boss dépoussière même son harmonica, et il est ici inspiré, déterrant certaines chansons qui datent de session du début des années 1970. La majorité de l'album a tout de même été composée ces derniers mois, avec une guitare acoustique offerte par un fan après l'un de ses concerts.
He runs the burlesque show
Janey Needs a Shooter, If I Was the Priest et Song for Orphans sont les trois chansons datant du début des années 1970, et le Boss en fait des merveilles. La première cité lui permet de renouveler avec ses penchants plus soul, elle se serait parfaitement intégrée à l'un de ses deux albums pré Born to Run et est superbe, avec un orgue omniprésent et un remarquable solo d'harmonica. If I Was the Priest est une des pépites de l'album, elle est superbe, montant en puissance le long de ses 7 minutes alors que Song for Orphans, rappelant Bob Dylan s'inscrit dans la continuité de l'album, elle est réussie à défaut d'être mémorable.
I wrote 'em all out in ink and blood
La très 'Nebraska' One Minute You’re Here permet à Springsteen de se muer en conteur et à l'E Street Band de doucement faire son entrée, avec d'abord une guitare acoustique puis les autres musiciens apparaissant peu à peu, donnant une force à cette jolie ballade. L'électricité arrive avec Letter to You, une chanson sincère et belle où le Boss s'ouvre et évoque sa façon d'être, d'écrire et se place juste comme un simple citoyen, sur une sonorité, dans le ton de l'album mais rappelant tout de même ses glorieuses années qui ont suivi Born to Run. Burnin' Train participe à la touche de fraicheur traversant l'album, un titre rapide bénéficiant du Banjo de Nils Lofgren.
The criminal clown has stolen the throne
Avec Last Man Standing, sublimée par le saxophone, le Boss signe une mélodie qui reste facilement en tête et évoque sa position en temps qu'étendard d'une idée du Rock 'n' roll, celle qu'il partage depuis maintenant cinquante ans. Le piano ouvrant The Power Of Prayer est superbe, et cette ballade s'inscrit dans la continuité de la chanson précédente, avec de belles interventions de l'orgue et du sax. L'émouvante House of a Thousand Guitars, avec la créative et géniale partition de piano, lui permet de chanter l'espoir et le rassemblement tout en égratignant Trump, le criminal clown qui a volé le trône.
It’s your ghost moving through the night
Sa fibre politique se ressent surtout avec Rainmaker où il évoque les faiseurs de pluies, ces gens qui vous font de belles promesses et vous trompent pour arriver dans les hautes sphères. Musicalement, elle monte en puissance et l'alternance entre électrique et acoustique est parfaitement maîtrisée. Rock dans la lignée de ses années Born in the USA, Ghost est surtout intéressante pour ses paroles, plus que la chanson en elle-même, bien qu'elle reste efficace. Il chante un bel hommage à ses anciens compagnons de routes, notamment Clarence Big Man Clemons et Danny Phantom Federici, et il le fait avec émotion sans tomber dans l'excès. Enfin, il clôt l'album sur une note plus douce avec la jolie I'll See You In My Dreams, qui s'inscrit bien dans le ton de l'album.
Jamais vraiment en panne d'inspiration, le Boss propose un double album avec Letter To You, évoquant, avec une pointe de nostalgie, l'Amérique rurale, la politique, ses fantômes présents ou passés et le chemin de la vie. Avec simplicité, il parvient à se renouveler sans trahir son style, offrant un album cohérent, avec des textes écrits à différentes époques et toujours passionnants à déchiffrer. Le son est fidèle à ce qu'il fait depuis ses débuts, son E Street Band est à la hauteur et il parvient à livrer un grand et homogène album, sans fausse note et contenant quelques pépites.
Face A :
One Minute You're Here
Letter to You
Burnin' Train
Janey Needs a Shooter
Face B :
Last Man Standing
The Power of Prayer
House of a Thousand Guitars
Rainmaker
Face C :
If I Was the Priest
Ghosts
Song for Orphans
I'll See You in My Dreams