Pajo
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Pajo

Album de Pajo (2005)

Après s'être caché au milieu des groupes les plus influents des années 90 (Slint, The For Carnation, Tortoise), s'être déguisé derrière toutes sortes de pseudos mouvants (Aerial M, Papa M) ou avoir joué dans l'ombre pour les bourrins de Royal Trux, le génie Will Oldham ou même Zwan, le groupe tout nul de Billy Corgan, David Pajo a enfin choisi de sortir un disque sous son vrai nom. Et alors c'est étrange, mais dès la première écoute, alors que forcément on s'attend à voir Pajo se mettre à poil vu le parti pris, ce n'est curieusement pas lui que l'on a l'impression d'entendre, mais plutôt Elliott Smith. Juré, la ressemblance est troublante, comme si Pajo avait choisi de rendre hommage au pauvre Elliott en reprenant une série de chansons inédites qu'il aurait cachées dans un tiroir secret, juste avant de se crever le cœur une bonne fois pour toutes. Un hommage ? En tout cas, ce qu'on entend sur Pajo, c'est du folk soigné, sibyllin, poignant, comme Smith seul savait en écrire : une musique qui contraste avec la semi-country terreuse et magnifique que Pajo jouait sur plusieurs de ses précédents disques, sous le nom de Papa M (on pense au très bel album Whatever, Mortal et surtout à l'indispensable disque court Papa M Sings). Là où la comparaison toujours flatteuse avec Elliott Smith s'arrête, sans que l'album ne perde pour autant de son intérêt, c'est lorsque Pajo entreprend, sur des titres comme Baby Please Come Home ou Francie, de torturer son folk à l'expérimentale, avec ses drôles de machines, à petits coups de sons bizarres, d'effets sourds et de boucles neurasthéniques qui rappellent là plutôt sa chouette période "post-rock" solo, avec Aerial M cette fois.(Inrocks)


Avant d'évoquer ce qui nous gêne (un peu) ici, rappelons qu'avec Whatever, Mortal sous le pseudo de Papa M, David Christian Pajo a commis, il y a quelques saisons, l'un des plus beaux disques de ces dix dernières années. Et fait la jonction entre le côté terrien de son acolyte et ami d'enfance Will Oldham et celui lunaire de Smog, sans oublier quelques clins d'oeil appuyés à de grands anciens qui, de Leonard Cohen à Johnny Cash, soulignaient l'aspect pastoral de ce chef-d'oeuvre d'écriture américaine. À l'usage de notre lectorat distrait, une magistrale série d'indispensables Ep's capturés au fil de ses errances et publiés par la suite enfonceront le clou. Puis s'acoquinant avec l'infâme Billy Corgan pour le naufrage Zwan et reformant Slint pour tirer un trait sur le garrot d'un passé qui nesemblait pas l'obséder outre mesure, notre homme n'a pas manqué d'activité. L'album qui sort ces jours-ci est loin d'être mauvais, certes, mais force est de constater que pour ceux qui attendaient une suite logique à Whatever, Mortal, la déception est de mise. On a la triste impression d'écouter, au début en tout cas, un hommage à Elliott Smith. Une élégie sublime, si c'est effectivement le cas: les morceaux allient le songwriting à la fois pop et profond du regretté baladin junkie suicidé, des paroles sensibles, des chansons jouées à la guitare acoustique et même une excursion indirecte vers l'electro pop de New Order (un clin d'oeil à Hood, en fait) avec Baby Please Come Home, à manipuler avec précaution. Ce qui donne au final un digne disque defolk contemporain, qui gagnera forcément en bouche avec le temps. Mais ce qui gêne effectivement, c'est que la voix de l'ex-Tortoise cherche à poncer ses aspérités et sa profondeur opiacée pour se faire jolie, mélodique,désirable et finalement indolente. C'est davantage dans le travail sur les textures sonores en arrière-plan et dans la seconde partie noirâtre de l'album qu'il faudra trouver un point d'appui et de contentement. Sur un dernier morceau lynchien à souhait, Pajo, autre cinéaste en puissance, prouve qu'il n'a pas dit son dernier mot. (Magic)
bisca
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le 12 avr. 2022

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