Skeletal Lamping
6.8
Skeletal Lamping

Album de of Montreal (2008)

C'est fou comme tout le monde, depuis quelque temps, semble s'inspirer de la pop frénétique aux vocalises en folie de Sparks. Dans le cas d'Of Montreal, ça ne date pas d'hier. Skeletal Lamping est (au moins) le dixième album de l'exubérant groupe américain, essentiellement le fruit de l'imaginaire foisonnant de son leader, chanteur et compositeur Kevin Barnes. A tel point que ce disque, comme les pré­cédents, sonne comme le résultat d'un intense bricolage en solitaire, Barnes empilant claviers psyché ou eighties, boîtes à rythmes funky, harmonies en pagaille et mélodies en roue libre. L'ensemble est toujours aussi impressionnant, même si, à la longue, il peut s'avérer usant. A l'instar d'autres sorciers de la pop ouvragée, les très britanniques XTC, l'excentrique ­Barnes - qui abuse parfois de sa voix de tête - pèche souvent par excès : lorsqu'il tient une chanson qui s'approche d'une salutaire concision, il ne peut s'empêcher d'y ajouter un pont inutile, une rupture de trop, une seconde mélodie qui aurait idéalement nourrie une autre chanson. Mais peut-être est-ce intentionnel.Car Kevin Barnes ne chante qu'une seule chose : l'obsession sexuelle, du trouble au désarroi, de la fascination à l'aliénation. Tel un grand adolescent qui se cherche encore, Barnes se glisse dans la peau des autres - homme, femme, séducteur prédateur, puceau timoré. De là à penser que, musicalement, il cherche également toujours sa voie... Gageons que lorsqu'il aura terminé sa captivante quête, il signera enfin l'album pop impeccable que l'on attend de lui. HC


La route depuis Athens, et les balbutiements au sein du collectif Elephant 6, fut longue et incertaine. Il aura fallu une décennie à Of Montreal pour rencontrer enfin un succès à la mesure de la richesse prodigieuse de l’écriture agitée de son leader Kevin Barnes, passée en dix ans et presque autant de disques d’une pop de fanfare lo-fi chantée faux à la splendeur mutante et synthétique de Hissing Fauna, Are You the Destroyer? C’était l’année dernière, et l’on découvrait alors un Barnes tourmenté par un mariage en déroute, une dépression lourde alimentée par un désastreux exil norvégien et une inclination pour les psychotropes. Tout cela relaté au fil d’un disque qui fut sa cure salvatrice et se transfigurait dans la croyance en un idéal pop absolu que Barnes énonçait alors à peu près ainsi : chanter la vie comme elle est, mais jouer une musique qui la dise telle qu’elle devrait être. Soit convier à la même table les travers tragiques de l’existence, leur parodie et l’utopie. Et ainsi, d’hymnes discoïdes en litanies kraut-marathon striées de choeurs façon Beach Boys, Hissing Fauna… inscrivait l’écriture si singulière de Barnes, entre tentation du suicide et overdoses médicamenteuses, dans une forme intensément pop, tout à la fois bouleversante et à la lisière d’un kitsch euphorisant. Depuis, Barnes va (un peu) mieux, merci. Il ne souhaite plus chanter les extraordinaires morceaux de Hissing Fauna…, pour ne plus avoir affaire “à une période trop sombre de (sa) vie”. Mais il leur a déjà donné une digne suite, où sa musique, si elle renonce à son immédiateté passée, n’a rien perdu de sa fascination hypnotique. Tandis que l’hétérogénéité de Hissing Fauna… se fondait en une tension unique qui emportait tout en un même mouvement torrentiel, son successeur Skeletal Lamping est à l’inverse le disque le plus disséminé qui soit, comme si Barnes avait pris le parti de casser son jouet et d’éreinter, déconstruire les outils du triomphe tout juste remporté. Ici, il n’est plus question de chansons distinctes mais de séquences composites, fissurées de toutes parts, réduites à la procession déroutée d’innombrables fragments qui tous laissent deviner le possible d’un flamboyant cantique pop, d’un funk-opéra ou d’un single de Beyoncé. En chacun des éclats de mélodie qui se succèdent à une allure affolée, tout autre que Barnes aurait discerné matière à la totalité d’un morceau. Mais lui impose le jeu d’un émiettement radical, bouscule cadavres de chansons étincelantes et microfictions pornographiques, et les imbrique les uns dans les autres selon une logique codée, chuchotée par le titre du disque : mener une chasse sans merci à ses propres fantômes, arracher fantasmes tus et tabous à leur placard et les confier à un personnage, Georgie Fruit, qui est l’avatar de Barnes autant que l’interlocuteur fictif et bariolé de son introspection exaltée. “Je voulais faire un album à la fois ludique et imprévisible, explique-t-il. Il y a beaucoup d’idées reçues sur ce à quoi doit ressembler une chanson pop, mais je souhaitais précisément qu’il n’y ait pas de règles, partir du principe que l’on peut tout bouleverser, créer une infinité de mouvements divergents, changer subitement de direction. Les groupes qui m’intéressent aujourd’hui ont en commun de faire tous une musique mouvante, risquée, qui se déplace sans cesse vers là où on ne l’attend pas : Animal Collective, Fiery Furnaces, MGMT…” Par-delà ces cousinages flatteurs, le kaléidoscope abstrait de Skeletal Lamping semble surtout infusé par l’esprit d’une idole dont on avait volontiers envisagé Barnes comme le plus fier héritier, David Bowie. Et plus encore que le rock glitter de Ziggy Stardust, à qui les précédents Of Montreal devaient beaucoup, Skeletal Lamping évoque Station to Station, l’album le plus hybride du Thin White Duke, indiscernablement irrigué par le funk blanc, Dylan et le krautrock. Mais si ce legs innerve toute l’oeuvre de Of Montreal (ambiguïté sexuelle cultivée, goût du personnage et d’un décorum imaginaires, tendance au froufrou glam et au travestissement, jeu sur le genre et les conventions pop), impressionne surtout ce trait commun qui désigne les plus grands songwriters : un art très sûr de la perpétuelle réinvention de soi. (Inrocks)
Avec l’excellent Hissing Fauna, Are You the Destroyer? (2007), les gentils foufous de Of Montreal avaient placé la barre très haut. Les prolixes Américains reviennent avec un neuvième album aussi tortueux que lumineux, dense et long en bouche. Kevin Barnes avait prévenu son monde. Le leader et songwriter capte les sons et les assemble en un cut-up géant, pour le meilleur et pour le moins bon, voire le très pénible, comme sur l’introductif Nonpareil Of Favor qui démarre tambour battant, avant de s’étirer mollement. Adepte de tenues et de maquillages chamarrés, quand il ne joue pas tout simplement à poil sur scène, Barnes tourne en bourrique le format traditionnel de la chanson, à l’aise derrière son avatar Georgie Fruit, son Ziggy Stardust à lui. L’imaginaire au long fleuve délirant du schizophrène le voit farder le magicien d’Oz de couleurs fluorescentes dans son jardin d’Eden imaginaire. L’une des perles du disque, Plastis Wafers, débute comme une ode sexuelle digne du meilleur Prince, qui monte au septième ciel jusque dans les étoiles, mais retombe dans une ambiance tribale oppressante, au long de sept minutes sans répit. Si les connaisseurs apprécieront l’exubérance géniale du bonhomme, il n’est pas sur que cette auberge espagnole délurée affiche complet. Une fois rentré dans ce Skeletal Lamping ardu, il semble pourtant difficile de se passer de ces pommes d’amour irrésistibles.(Magic)
bisca
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le 11 avr. 2022

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