Considéré homme de l’ombre par la critique, collaborateur d’Earl Sweatshirt, The Avalanches, The Internet, King Krule et bien d’autres, l’australien Jonti n’en reste pas moins un artiste complet, ce depuis des années. Il publie «Tokorats» sur le label Stones Throw, son troisième album, qui fait suite à «Twirligig» paru en 2012.
Loin du hip-hop qu’on lui prête, Jonti dévoile avec ce troisième disque toute la réflexion interne qui l’aura guidé au long de ces cinq années de production. Après avoir publié «Twirligig» en 2012, le producteur australien écrit dans la foulée la matière de ce «Tokorats» mais décide, en 2013, de subitement tout effacer, pour semble t-il mieux partir à la recherche de son Tokorats. Néologisme ? Concept obscur ? Aucune définition concrète, sur internet ou ailleurs, ne semble ressortir de ce terme.
«Un Tokorat est une créature super-naturelle. Un mutant multicolore, composé de tous les éléments bizarres de votre histoire et de toute la complexité de votre personnalité» explique Jonti. On pense évidemment à l’animal-totem de Chuck Pahlaniuk. Jonti de rajouter : «Dans chaque chanson, j’ai eu une conversation avec les bonnes, comme les mauvaises, réflexions sur moi-même : mon Tokorats». On pense aussi à l’ayahusca, aux voyages internes qui ne sont propres, et surtout utiles, qu’à nous mêmes.
«Tokorats» est un voyage interne, à la rencontre de soi donc, mais aussi des autres à travers soi. Jonti l’homme de l’ombre, le collaborateur, n’oublie pas, au fil des cinq années que demanderont la conception de l’album, de collaborer comme à son habitude. Auteur de trois morceaux sur «Wildflower», le dernier album du groupe australien The Avalances qu’il accompagne souvent en tournée en tant que guitariste, Jonti travaille également aux côtés de Steve Lacy (The Internet), Mark Ronson, le quatuor nu-jazz BADBADNOTGOOD mais aussi King Krule ou Earl Sweatshirt et s’octroie même le droit de partir en tournée mondiale avec Gotye. Un rythme de superstar pour un artiste nomade, modeste et surtout attaché à la notion de self-compréhension : «J’ai voulu que les chansons aient des intentions claires, je voulais ouvrir les sons. Je suis donc allé chercher les musiciens qui me permettraient de trouver les sonorités ouvertes que je recherchais». Collaborer pour mieux se nourrir ? Voilà une sage doctrine que Jonti a su assimiler, sûrement, au fil de sa carrière.
Et l’album s’en ressent fortement. Les nappes oniriques approfondissent le propos d’un album qui aurait pu sonner pop s’il n’avait pas été nourri des diverses influences apportées par les featurings, les tournées et surtout les collaborations mentionnées plus tôt qui, on peut le ressentir à l’écoute, ont permis à Jonti de constituer un album au spectre musical aussi large qu’inspiré. Tout y passe, le hip-hop forcément, mais aussi une dream-pop assez personnelle, et surtout devenue spécialité en Australie, le R’n’B et l’éléctronica. Jonti, évoquant la réécriture de l’entièreté de l’album à partir de 2013, parle d’une centaine de versions pour chacune des quinze pistes de «Tokorats». Et ce qui frappe pourtant, c’est l’homogénéité de ce littéral fourre-tout : des blips d’Atari sur «Papaya Brothers», des cuivres grandiloquents s’acoquinant avec une basse digne des plus grands standards de funk sur «Zuki», et surtout des chœurs vaporeux et enivrants sur le morceau titre «Tokorats». Le passé de peintre de Jonti finit même par revenir et nous expliquer la surproduction tant maîtrisée, les surcouches amenant cette explosion de couleurs et de sons, et la présence sur Stones Throw de l’album le plus synesthésique, et le plus réussi, du producteur australien Jonti Danilewitz.