Tristan
6.5
Tristan

Album de Jean-Louis Murat (2008)

Et encore un Murat », se dit-on d'abord, rassasié et quasi saturé en ayant eu à peine le temps de digérer le précédent (Charles et Léo, textes de Baudelaire mis en musique par Ferré, sorti en octobre dernier... sans compter la très récente bande originale de Coupable, le film de Laetitia Masson). Pourtant, ces dix nouvelles chansons se laisseront déguster sans la moindre indigestion. Car l'album est gracieux, dessiné en dentelle par un Murat troubadour qui, tout en restant pop, ose une écriture élégamment poétique et des échos mélodiques presque moyenâgeux. Après Lilith ou Dolorès, il chante le sort d'un homme, Tristan... mais c'est une autre, Iseut, qui partout se dessine. Chants d'amour éperdu et perdu, chants très charnels, aussi, où le bonheur et la douleur sont intimement liés. Pour cerner son sujet, l'obsession vénéneuse de l'amour, le chanteur artisan signe chacun de ces titres et joue lui-même de la plupart des instruments ; ambiance chaude et dépouillée du coeur des hommes esseulés. Le franc-tireur de la chanson soigne donc sa mélancolie, et son indépendance. Qu'il sorte son disque chez Universal (qui vient d'engloutir V2, son précédent label) n'a rien changé, ni de ses partis pris, ni de son identité. (Télérama)


Un jour, Murat ne fera plus de disques ; il ne postera même plus de chansons sur le net. Ce jour-là, on s’apercevra à quel point on aimait ses livraisons bisannuelles, ses chansons sans prétention sitôt nées sitôt enregistrées dans son studio-tannière au milieu des volcans endormis. Et puis on relira l’ensemble de l’œuvre. Arrivé à Tristan, on en aura encore le souffle coupé, l’épine dorsale tressaillie. Et on hurlera au génie de Millevaches. L’histoire de Murat, on la racontera alors aux prosélytes en prenant ce vingt-quatrième album comme la pierre angulaire du répertoire. On célébrera l’audace du dernier héritier des trouvères (Tel est pris, La Légende dorée…), le cabotinage classieux de l’ultime desperado d’une country bluesée à la française (Les Voyageurs perdus). La légende parlera de ce mec tout seul, jouant de tous les instruments, refilant ses maladies d’amour aux cordes qu’il gratte, aux cuivres qu’il expire et aux peaux qu’il caresse. Pour l’affaire, il aura mené un dernier duel avec son saxo, sa première muse à la gorge grave qu’il avait abandonnée depuis des caisses pour en tirer de vieux vagissements séminaux dans la plus grande élégance roxymusicienne (Marlène). Ces onze chansons resteront à vie comme celles qu’il a réalisées en solitaire, en osant enfin tout faire lui-même, devant le miroir, comme la première œuvre de son apogée, la dernière avant une inexorable suite de répétitions de lui-même. Et puis, il y aura cette poésie, que l’on comparera aux acrobaties de Ronsard bien plus qu’au romantisme trash de Baudelaire : un indélébile savoir-vivre de la langue, en prolongement filial avec la courtoisie des auteurs baladins des XIVe et XVe siècles, qui aura propulsé Murat dans des paragraphes entiers des manuels de français pour la préparation du bac : “Tristan est un Sancy de tristesse. Il ne s’entend bien que si on pense, comme moi, que Dieu est une femme”… Ce jour-là, nous serons en 2050 et Murat aura presque un siècle. Ultime coquetterie de râleur éternel : il dira dans ses rares interviews qu’il prépare un disque en occitan, pour boucler la boucle de sa colossale odyssée et enfin gagner son fauteuil au paradis des troubadours. Et, comme d’habitude, on le prendra pour un dingue… Un dingue avec plus de mille ans d’histoire de la chanson dans ses veines et plus de cent disques au compteur. (Inrocks)
Quel plaisir de retrouver Murat dans le plus simple appareil, à domicile, chantant “Je suis au désespoir/Et de rage je dis…/I wanna kill you”. Car voyez-vous, chères lectrices et lecteurs, la chanson en question, L'Hermine, est de celle dont on recouvre Le(s) Manteau(x) De Pluie (1991). Les thuriféraires apprécieront. On oubliera donc pour un instant le professeur de lettres refoulé, cabot en promo et chantre turgescent d'une certaine féminité – Isabelle Huppert demeure à ce jour sa muse la plus marquante – pour retrouver le talentueux musicien que l'on sait. En effet, si Taormina (2006) affichait un franc retour à la sobriété des chansons (des arrangements, du propos et de la quantité), Tristan valide aujourd'hui la régénérescence complète du Moujik. Qui, pour notre plus grand bonheur, mène désormais sa carrière à la façon de l’immense Howe Gelb (présent sur l’inusable Mustango, 1999), alternant les disques et les tournées en trio électrique et les œuvres plus intimistes, recentrées sur la guitare acoustique et les claviers. Son Arizona à lui, ce Massif Central qui lui inspire depuis toujours ses plus belles échappées solitaires, Jean-Louis Bergheaud lui rend à nouveau hommage avec cet album enjôleur qui célèbre espace et silence, poésie et spleen chronique. Et qu'importe si cette évocation du mythe de Tristan et Yseult se parfume parfois à l'eau de rose puisque, étonnamment, c'est là que notre homme est le plus touchant : seul dans un monde où même Dieu est une femme. Submergé par son chromosome X, JLM (lire Joue-La Midinette) Chante Bonheur et c'est finalement tout le mal qu'on lui souhaite de trouver auprès de Marlène, le petit joyau qui clôt l'excellente nouvelle : Murat est enfin de retour ! (Magic) 
bisca
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le 5 avr. 2022

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