Que les 10 dernières planches sont réussies !! Certainement une des meilleures fins d'un album de Lucky Luke. De l'action, des révélations d'intrigue et une dernière page grandiose en guise d'ouverture réflexive, bref du grand art. Il fallait commencer la critique par ce bout là.
L'album dans son ensemble est bien entendu très bon lui aussi. Essayons de détricoter tout ça sans trahir le plaisir de la découverte.
Tout d'abord, il s'agit d'un tome cavalerie - indiens, comme l'a été le 20ème de Cavalerie 6 ans auparavant. Beaucoup d'ingrédients ont d'ailleurs été repris : un colonel têtu mais meneur d'hommes respecté, ici l'irlandais O'Nollan ; des officiers pas très futés bien formatés aux ordres et à la discipline ; une guerre intestine avec les indiens du coin, ici les apaches chimichuris de Patronimo.
Luke est à nouveau missionné pour tenté de comprendre pourquoi le processus de paix avance moins vite sur ce territoire qu'ailleurs. Il aura à nouveau ce rôle d'intermédiaire entre deux cultures avec lesquelles ses talents diplomatiques seront attendus.
Alors, redite du 20ème de cavalerie ? Un peu oui, mais surtout non.
-> à l'inverse du tome 27 des aventures du cow-boy solitaire, les indiens de Patronimo sont nobles et fiers. On est moins dans la caricature et plus dans la complexité et la profondeur. Les apaches chimichuris doutent, donne à Lucky Luke sa chance, l'acceptent parmi les leurs : à ce propos le rite d'initiation de Lucky Luke (des planches 23 à 26) est un grand moment de la série. Le petit indien Coyotito est fort sympathique, sa présence sur la dernière planche renforce le volume du personnage.
-> le scénario : le processus de paix (ou plutôt de guerre) avance, recule, bien incarné par des personnages charismatiques des deux côtés. Mais surtout ces revirements font évoluer les positions des deux camps pour aboutir à un final aussi inattendu que bien construit. On referme l'album avec la joie d'avoir passé un très bon moment du 9ème art, mais aussi le cœur lourd parce qu'on sent qu'une civilisation s'éteint. A ce propos, le personnage de Lucky Luke est dans la série (a fortiori dans cet album) un émissaire au service du pouvoir politique de Washington plus qu'un loup solitaire : il se "bat" pour la paix avec les indiens et n'est pas dans une démarche de résistance du peuple indien voire insurrectionnelle. Une grande différence avec Blueberry.
-> le dessin : cela est pensé de beaucoup, Morris stabilise définitivement le coup de crayon dans les premiers Dargaud et atteint la plénitude. Il ose davantage comme cette grande case en plongée sur le canyon qui fera écho à la dernière planche. Au final, un excellent dessin tout au long de l'album.
Bref, cela réussit très bien au duo Goscinny-Morris de ne sortir qu'un album par an : les deux prochains seront les chefs d’œuvres Ma Dalton et Chasseur de primes. Des sommets dans l'âge d'or de Lucky Luke.