La passion peut se définir sous bien des formes, que ce soit un état émotionnel comme un amour irraisonné, une exaltation intense, ou un intérêt très vif pour un domaine, celle-ci se ressent différemment selon les individus et les situations. Comment KAMIMURA réussira t’il a décrire cette dernière avec la finesse qui le caractérise ?


Synopsis :
Au fil des chapitres, Kazuo KAMIMURA nous montre jusqu’où la passion peut conduire les êtres. De celle du dessin pour Hokusai et Sutehachi, à la passion amoureuse des jeunes gens, c’est la force de ces sentiments qui emporte avec violence et déraison qu’il nous donne à voir. Kazuo KAMIMURA, que l’on a appelé le peintre de l’ère Shôwa, était un grand admirateur de Hokusai.


En détails :
KAMIMURA est plus considéré comme un artiste qu’un dessinateur. Au cours de sa carrière il a toujours su insuffler des sentiments fort dans ses œuvres en dépassant les limites du média qui utilise. Véritable poète, quand il ne s’essaie pas à la versification, il inclut dans ses mangas des extraits de haïkus ou autres poésies d’artistes auxquels il s’est passionné.


Hokusai est l’artiste légendaire de la Grande Vague de Kanagawa faisant partie des Trente-six vues du mont Fuji, celui là même qui influença de nombreux artistes européens, et qui est considéré comme le père du mot Manga. Surnommé le Vieux Fou ou encore le génie, celui-ci à laissé, selon les dire de l’auteur, pléthore d’anecdotes qui ne demande qu’à être re-interprété de nos jours. C’est ce qu’a décidé de faire KAMIMURA pour ce récit afin de dessiner celui qui a été un de ces mentors spirituels.


L’auteur a choisi un moment particulier d’Hokusai, celui de ces dernières années d’existence. Le génie est en fin de vie (officiellement Hokusai décède à 88 ans en 1849, dans le manga à 90 ans) mais il garde toute sa fouge. Personnage excentrique, parfois joyeux, parfois aigri, changeant de nom régulièrement, il est en perpétuel déplacement et déménage sur un coup de tête. L’art ne se commande pas, et il cumule des commandes non honoré qui l’oblige parfois à se cacher. L’artiste est un bon vivant, fais ce qui lui chante et qui a encore toute sa tête.


Il est accompagné de sa fille cadette O-Ei, jeune et déjà blessé par la vie, elle est divorcée. D’apparence timide, sa vie passe après celle de son père dont elle s’occupe nuit et jour. Mais O-Ei reste une jeune fille et a un faible pour Sutehachi, le disciple de son paternel.


Sutehachi, quant à lui, est le disciple d’Hokusai, il a déjà une réputation bien installée dans les Shunga (gravures japonaises érotiques) et lui servira d’assistant. Volage, tête en l’air et assez rustre il n’en garde pas moins le coeur sur la main et réagit au quart de tour. Comme le dit Kana « L’auteur a peut-être investi une partie de lui-même dans le personnage de Sutehachi, en particulier dans le sentiment du jeune homme de ne pas être à la hauteur de Hokusai ». Il s’acoquinera de O-Shichi une courtisane qui rentrera en rivalité directe avec O-Ei. O-Shichi a un caractère fort et se découvrira d’un vice pour assouvir ses fantasmes que l’on pourra qualifier d’enflammer.


Ils seront les acteurs principaux de cette histoire, la synergie de ces quatre personnages alimentera le récit. La narration ne se concentre pas sur un personnage en particulier, bien que le lien commun reste majoritairement Hokusai. KAMIMURA jonglera entre eux et s’éternisera sur les protagonistes qu’il souhaite mettre en avant pour faire évoluer son histoire.


Le manga démarre sur notre artiste, alité, les veines ouvertes pour achever sa dernière œuvre en date, la passion de l’art l’anime toujours et il vit pour cela. O-Ei le soigne et Sutehachi est à son chevet. L’auteur ne perd pas de temps pour introduire les personnages principaux, et dès les premiers chapitres le lecteur comprend rapidement les liens qui les unissent. De plus, par cette première séquence, le mangaka montre qu’il restera dans son thème adulte répondant aux valeurs du Gekiga incluant du tragi-comique, donnant régulièrement un ton très léger.


Folles passions est un manga difficile à décrire, se concentrant sur plusieurs personnages et deux grands thèmes sortent du titre celui sur les Artistes et celui sur le sexe. Durant la lecture, il est difficile de comprendre les tenants et aboutissant des situations, aucun fils conducteur n’est affiché et les pérégrinations de nos personnages ne sont pas soumises à une motivation particulière. KAMIMURA semble avoir voulu une œuvre humaine, basée sur des tranches des vies et racontant des histoires et situations liées en partie aux anecdotes qu’il a pu trouver.


Les chapitres sont généralement indépendants mais suivent une trame temporelle, des dates importantes seront mentionnées et respectées. Les chapitres peuvent se concentrer sur deux artistes qui se rencontrent, les déboires d’un commerçant, le caractère d’un personnage en particulier, la réaction d’Hokusai face à une commande non honorée, des soirées à la bonne humeur alcoolisée, la réalisation d’œuvre, ou d’autres histoires plus sérieuses sur les sentiments cachés d’un personnage, la rivalité entre femmes, le quotidien difficile enduré, la pauvreté des artistes… mais tous ces sujets restent dans l’ensemble survolé et l’auteur ne semble pas souhaiter y apporter d’éléments de réponse, laissant le lecteur se faire ses propres conclusions.


L’ensemble de ces sujets est raconté à la KAMIMURA, réussissant à insuffler assez de vie dans les personnages pour faire ressentir les moments de bonne humeur ou plus dramatique. L’auteur raconte la « passion » de ces personnages qui se remettent parfois en question, notamment sur la vie d’un artiste, qui malgré leur reconnaissance, ne se sent jamais accompli. Doivent t’ils dessiner pour gagner de l’argent? ou créer l’art selon leur envie?


Hokusai sera représenté de façon humaine, très loin de la légende d’aujourd’hui, car derrière les grands mythes se cache un homme. Sa motivation se forge au fil des rencontres et jusqu’à la fin il continuera à se remettre en question sur son art. Bien que l’auteur aurait pu aller bien plus loin dans le récit de ce personnage, il est agréable de ne pas avoir adopté l’angle de la biographie pour le décrire. À noter que le décès d’Hokusai se veut très original.


L’auteur décrira certains fonctionnements de cette époque, que ce soit dans la conception des Ukiyo-e (estampes), les commandes d’œuvres aux artistes, ou d’autres points plus administratifs, comme les jugements des prisonniers, et même leurs exécutions. Les villes, rues, commerces, habitations, commençants, personnes du peuple seront le théâtre de toutes ces histoires. Les personnages traînant peu avec la haute société.


Le second thème majeur est le sexe, ce sujet est décliné sous beaucoup facette. Dans de nombreuses scènes érotiques, les sentiments s’entrecroisent, le sexe est pratiqué par plaisir, par amour, par passion, par vice, il est incontrôlable, inattendu, indésiré, fougueux, intense, passionné, tendre. Il peut se pratiquer en cas d’adultère, en cachette, par surprise, par désir, par bestialité ou par perversité… autant de possibilités que les Shunga peuvent représenter et qui seront parfois associés dans ces scènes sans tabou.


Folles passions doit être l’oeuvre de l’auteur publiée à ce jour en France comprenant le plus de scène de ce type. Pas d’amalgame, bien que certaines sont très claires, celles-ci ne pas dans la catégorie de la pornographie, et KAMIMURA représentera ces dernières de façon réalistes, métaphoriques ou poétiques selon la situation et les personnages choisis. De nombreuses représentations de ces Ukiyo-e seront associées lors de ces actes sexuels. Toute la qualité des scènes vient dans la représentation imagée des désirs de nos couples dont l’auteur excelle.


Très souvent Sutehachi sera de la partie, ce jeune artiste renommé pour ces Shunga a une libido débordante et il n’est pas timide avec les femmes, ces dernières lui donnant l’inspiration pour ces futures œuvres. Il aspire juste à profiter de la vie avec des plaisirs simples : boire, manger, dépenser son argent, passer du temps avec les courtisanes vivant dans la pauvreté. Ce personnage souvent brut et vulgaire deviendra de plus en plus attachant au fil des volumes. L’auteur le mettra énormément en premier plan et il sera aussi utilisé comme le gentil idiot de service qui sert à dédramatiser la situation.


Bien qu’il n’y est pas de fils rouge, les personnages principaux se dévoilent au fil des volumes, mais cette oeuvre est le parfait exemple de ces mangas qui se lisent en deux étapes, une première lecture dans la perplexité pour découvrir, une seconde pour apprécier les propos, les sujets abordés ainsi que la représentation visuelle de certaines situations. KAMIMURA a choisi ce ton assez léger qui n’est pas déplaisant, et il arrive très bien à changer l’ambiance du moment pour intensifier la situation,. Il n’hésite pas à la dramatiser si nécessaire, mélangeant par moments l’acte de plaisir et de mort.


Il faut préciser que certaines histoires restent discutables sur leurs utilités ou leurs légèretés avec laquelle elles sont décrites. Certains personnages manque de profondeur et aurait mérité un peu plus de soins (notamment O-Ei). L’oeuvre oscille entre le récit sur les artistes et sur le sexe, et a dû mal prendre position, ce qui rend difficile la compréhension de l’oeuvre et cela perturbe énormément à la première lecture. Le manque de certaines références se fait sentir dans certaines situations, comme les coutumes, l’évocation de certaines grandes figures ou la participation d’un mangaka sur planche sans aucune explication.


Le dessin de Kamimura se marie parfaitement avec l’époque Edo. Son trait est proche des Ukiyo-e, la représentant des artistes dans ce même domaine procure un effet d’immersion par le dessin. L’alternance de planches classiques, d’estampes ou de représentations métaphoriques sont sublimes et intensifie les désirs des personnages. Seul regret la présence de personnages secondaires grotesques, et l’inclusion de réactions humoristiques parfois en décalage avec le propos. Ceux qui connaissent l’auteur seront en terrain connu bien au début du manga les femmes sont assez ressemblantes et difficiles à reconnaitre.


C’est toujours les Éditions Kana qui continue de publier KAMIMURA, dans un grand format (environ 15x21 cm). Les ouvrages sont dotés d’une jaquette amovible, d’une page couleur à chaque volume et d’un texte de l’auteur à la fin de l’histoire. L’ensemble est de bonne qualité bien qu’un papier un peu épais aurait pu être choisi au vu du prix de chaque volume. Dans l’ensemble le livre est de bonne facture, là où le bât blesse c’est étonnement sur le travail de l’éditeur, aucun dossier, aucune clef de compréhension et surtout des termes traduit avec un astérisque qui parfois nous fait sortir de la lecture. L’oeuvre a eu droit à un coffret regroupant les trois volumes.


Folles passions est l’œuvre la plus difficile de KAMIMURA à apprécier dès la première lecture. Pourtant celle-ci a permis à l’auteur de pouvoir représenter humainement un de ses mentors spirituel (qui a clairement influencé son art) et décrire avec plus d’amplitude la thématique du sexe qui est présent dans toutes ses oeuvres. Bien que l’œuvre oscille entre deux thèmes sans les approfondir complètement, c’est un manga que les initiés redécouvre à chaque relecture.

darkjuju
8
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le 5 déc. 2020

Critique lue 85 fois

darkjuju

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