Une aventure bien loufoque et en léger décalage de l'univers mais un vrai coup de cœur tant le scénario est riche et le déroulé de l'album est dramatique.
Dean Smith est un éleveur qui a fait fortune et qui s'est constitué une belle armée pour s'amuser à jouer au petit soldat, voire plutôt au petit empereur. Il est le seul à croire vraiment à sa destinée impériale et ses sbires se contentent de jouer le jeu car le job est plutôt tranquille. Les habitants de Grass Town quant à eux ne le prennent pas au sérieux...tout du moins jusqu'à ce que Smith et le colonel Gates (son ancien cuisinier) croisent la route du malfrat Buck Ritchie. Lui poursuit ses intérêts et voit dans l'armée de Smith une force de frappe pouvant asservir beaucoup plus que la population de Grass Town.


Un scénario qui questionne beaucoup la mise en place d'un système tyrannique qui repose à la fois sur de la coercition physique (ou sa menace) et la symbolique qui accompagne ce pouvoir, entre les attributs et les récompenses/décorations. Le récit évoque aussi le despote et sa fuite en avant du pouvoir. Une analogie certes à Napoléon, qui inspire très grandement Smith (personnage ayant vraiment existé bien que la présente histoire est romancée), mais l'album pourrait tout aussi bien s'appliquer à des exemples récents comme Kadhafi. Montesquieu disait dans l'Esprit des Lois (1748) :



C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites [...] Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.



Et Lucky Luke dans tout cela ? Hé bien il est prévoyant, mesuré et juste comme à son habitude. On retrouve le Lucky Luke qu'on avait un peu perdu dans La guérison des Dalton. Il est cependant très discret dans cet album : dans le cœur de l'album des planches 13 à 23 par exemple, il n'apparait que sur 11 cases.


Pour le côté personnage loufoque peu pris au sérieux, des ficelles empruntés à l'excellent Ma Dalton, pour le côté tyrannique, des ingrédients déjà perçues dans les sommets Billy the Kid ou Les Dalton se rachètent. Il y aussi des faux airs de Tintin et les Picaros sorti la même année, notamment les planches 31-32, lorsque Smith s'adresse à la foule ou encore des réactions typiques des personnages d'Asterix dans celle de Gates planche 39.


Un Lucky façon pièce de théâtre dramatique. Pour le côté moins classique, certainement une irritation pour les uns. Un chef d’œuvre pour les autres. Le dernier de la paire Morris-Goscinny.

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le 28 déc. 2020

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