Avant "la cantine de minuit", Yarô Abe a réalisé cette courte série de quelques chapitres, à la gestation compliquée (comme cela nous est indiqué dans une postface de l'auteur), qui est aujourd'hui mise à notre disposition en France par l'excellentissime maison d'édition "le lézard noir" (que je ne remercierai jamais assez pour avoir publié de nouvelles œuvres de Kazuo Umezu dans nos contrées).
Le lien entre les deux séries de l'auteur saute d'ailleurs aux yeux, et on peut dire avec certitude que ce "Mimikaki - l'étrange volupté auriculaire" a été, non pas le brouillon (car il s'agit d'une œuvre déjà assez aboutie et délectable, comme nous allons le voir), mais en tout cas la matrice de la série phare actuelle de l'auteur. Les difficultés que ce dernier a eu à publier ce Mimikaki ont d'ailleurs sans doute été pour le mieux pour lui, dans la mesure où le cadre narratif de la "cantine de minuit" (avec son bar à noctambules) est bien plus adapté et propice à une série sur le long cours que ne l'était sans doute ce "mimikaki" (nous allons y revenir).
Toutes les histoires qui composent ce recueil suivent les destins de personnages divers (tout comme "la cantine de minuit") avec pour point commun entre elles qu'elles finissent toujours par converger vers ce salon bien particulier, où le client peut s'allonger sur les genoux d'une bien douce dame et se faire nettoyer les oreilles au moyen d'un instrument inconnu chez nous (le fameux mimikaki), alternative aux cotons-tiges. Or, cette dame est si douée dans son art qu'elle plonge ses clients dans un état de transe orgasmique, au point même parfois de soulager une grande partie de leurs peines existentielles.
Pour moi, qui parvient difficilement à réprimer des cris de plaisir lorsque je me nettoie les oreilles au sortir de la douche, l'attraction vers ce manga a été pour ainsi dire irrépressible (aidé également par un prix assez doux, 13 euros, par rapport à d'autres mangas de l'éditeur et le fait qu'il s'agisse d'un one-shot). Et j'ai été assez agréablement surpris par le potentiel et la portée véritablement érotique de ce titre (car il ne me vient pas d'autres termes...) tout en suggestion (et cela sans aucune exhibition d'aucune sorte) ; jouant sur la représentation des mains de sa protagoniste principale, sur la ligne épurée de son instrument et sur des représentations toute poétique de l'oreille interne stimulée par cette bien douce (on l'imagine) prestation, l'auteur emporte pour ainsi dire l'imagination hédonique de son lecteur, pour peu que celui-ci soit sensible à ce type de stimulation.
Le dessin reste simple, mais élégant quand il le faut ; tous les personnages sont aisément identifiables, et le découpage simple mais efficace ne perd jamais le lecteur, permettant à l'auteur de se concentrer essentiellement sur son point fort, c'est-à-dire l'évocation des destinées et des plaisirs et tourments de ses personnages.
Le seul bémol que l'on peut évoquer à propos de ce titre, c'est sans doute la dimension rapidement trop systématique des scénarios, puisque l'on sait que ceux-ci vont quasiment toujours finir par emmener les protagonistes vers le salon de notre nettoyeuse d'oreille, où ceux-ci vont voir, sous les doigts de fée de la gérante, leurs problèmes se dénouer (ou leur peine s'alléger) en grande partie. Nul doute que l'auteur serait sans doute parvenu à trouver une parade à ce défaut, mais, comme déjà dit, il a sans doute bien fait de choisir, avec "la cantine de minuit" un cadre narratif plus malléable.
Je recommande, quoi qu'il en soit, chaudement ce titre, aussi exotique pour le lecteur français (je rêve désormais de me retrouver un jour dans un tel salon! lol) qu'universel dans ses évocations érotiques! Continuez comme ça le Lézard noir!