Du classique dans tous ses états

Morris pose dans cet album son empreinte sur ce qui deviendra une marque de fabrique : dépeindre, au départ avec humour et action, puis avec l'arrivée de Goscinny avec plus de profondeur, des scènes de l'imaginaire collectif autour du far west.
Nous avons le droit ici dans un album regroupant trois histoires trois scénarios assez classiques reprenant 1/ une compétition de rodéo 2/ assainir une ville mal famée 3/ accompagner la folie de la ruée vers l'or.

Car oui pour commencer, Lucky Luke est un cow-boy, littéralement garçon de vaches, vacher. Et pour occuper le cow-boy et bien quoi de plus original que de s'amuser avec ses compagnons de route : cheval, veau, vache, taureau.
C'est ce que nous propose la première histoire avec en filigrane une opposition avec un méchant très Morrissien : un dénommé Cactus Kid. Au delà de l'histoire, il est intéressant de voir que ce sujet du rodéo reviendra assez peu par la suite de la saga. On pense notamment à :
-> au concours entre O'Hara et O'Timmins dans Les Rivaux de Painful Gulch planches 21 à 26 (tome 19) ;
-> la capture du veau en planche 12 fait penser à la capture du lapin dans Canyon Apache en planche 23, Lucky Luke apprivoise un bison en planche 25 (tome 37).

Lucky Luke alterne entre le côté un peu candide et déterminé :

Reste où tu es, ou je te transforme en passoire

qu'il dit à Cactus Kid en planche 15. On retrouve ce trait de caractère contre Mad Jim, Phil Defer ou encore les vrais Dalton. Bien plus tard seulement dans le surprenant Fil qui chante avec Goscinny (planche 29) :

Je descendrai celui qui ne boira pas son café

(Parenthèse : dans le Wanted Lucky Luke complétement revisité de Mathieu Bonhomme, son cow-boy dit pourtant "c'est une erreur, je n'ai jamais tué personne" (2021)

La deuxième histoire, Lucky Luke à Desperado City, reprend ce qui sera un classique de la suite : une ville de couards fermant les yeux sur les outlaws du coin (ici les frères Pistol). Beaucoup plus tard, cela sera mis en exergue dans des albums comme Billy the Kid ou Dalton City.
Mais il est intéressant là aussi de s'intéresser pour le fun à un détail : Lucky Luke a la corde au cou en planche 37. On le reverra dans la même situation à de nombreuses autres reprises, notamment : à la planche 4 de Lucky Luke contre Joss Jamon, 24 du Juge, planche 18 du Cavalier Blanc, planche 7 de la Corde du Pendu ; ou encore au poteau d’exécution cheyenne du 20ème de cavalerie planche 27.

Enfin sur la 3ème histoire on aura une prolongement de ce mythe de la ruée vers l'or et des villes champignons dans l'album Des Rails sur la prairie, La Ruée sur l'Oklahoma ou encore Le Klondike.

Le tout forme un album qui a davantage d'intérêt pour les pistes qu'il ouvre, pour celles qu'ils ferment aussi : ce Lucky Luke utilise de nombreuses expressions comme "pétard" que l'on entendra plus trop par la suite. L'essentiel est ce que cela augure, à savoir un travail acharné de 56 ans dédié à un seul personnage et une fresque étalée sur 70 albums signés Morris.