Première oeuvre du dessinateur américain Nick Drnaso, Beverly est un roman graphique qui nous plonge dans six histoires différentes mais qui s’entremêlent en usant de personnages récurrents.
On assiste à la vie ordinaire d’individus appartenant à la middle-class Américaine et vivant dans une banlieue américaine sans vraiment d’indice, ni de lieu, ni de temps.
Des dessins simples, un découpage rigide, des couleurs pastel. La simplicité apparente de l’oeuvre permet cependant de frapper le lecteur à travers l’action, l’histoire étant alors d’autant plus importante.
D’une Amérique lisse en apparence, c’est en observant l’ordinaire qu’on s’aperçoit à quel point elle est malade. Chaque histoire est l’occasion de dépeindre des problèmes qui ne sont pas uniques à la société américaine mais qui caractérisent assez justement les enjeux dont elle fait face. Qu’il s’agisse du racisme, du harcèlement, de la marginalisation des introvertis ou encore de la société de surconsommation.
À mes yeux, Beverly est une oeuvre sur les relations qui changent. Un vieux couple qui sait que leur amour disparaît peu à peu mais qui ne peut se l’avouer, deux anciennes meilleures amies divisées par leurs classes sociales, Tina et Wes qui ne savent pas ce qu’ils sont l’un pour l’autre et qui ne veulent pas vraiment savoir, un trentenaire secrètement amoureux de sa kiné. Dans une société où l’individualisme prime, les rapports entre chaque personnage sont d’autant plus complexes et les relations restent dans la majorité des cas ambiguës.
Mais avant tout, ce qui m’a plus marqué et ce qui fait la puissance de cette oeuvre est que Beverly est une oeuvre sur la frustration et la déception. Ces deux thèmes étant omniprésents dans chacune des histoires.
Qu’il s’agisse d’argent ou de sexe, entre les attirances impossibles et les pulsions inassouvies, de la détresse sourde du petit Tyler aux pleurs de Cara en voyant les faux espoirs de sa mère, chaque histoire regorge de déception et de frustration. Mais rares sont les fois où les personnages mettent des mots sur ces sentiments, privilégiant les silences et les soupirs.
Seul Cara ose répondre à son père suite à de longs reproches dans le creux de son siège :
"That’s not why you’re upset and we all know it."
Une fois Beverly fini, un goût insipide reste en bouche. Non pas que l’oeuvre soit insipide, au contraire, mais un goût insipide face à ce que l’on vient d’assister. Un condensé d’amertume et de morosité transmis avec justesse et subtilité. C’est en cela que Nick Drnaso livre une oeuvre marquante qui touchera chacun d’entre nous.