Mères perdues
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le 29 sept. 2012
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Le dessin, assez minimaliste, s'accommode bien des décors sommaires (aplats de couleurs et contrastes de luminosité des bâtiments, du désert). Toutes les lignes supposées droites sont tracées à main levée, avec une hâte parfois tremblotante. Le rendu broussailleux des ombres, des barbes, des décors végétaux montre que l'on est assez loin de l'académisme, pour pencher plutôt vers l'aquarelle, et suivre de loin le trait à la Hugo Pratt. Les étapes du récit sont marquées par des contrastes entre le blanc d'une part, et différents tons colorés dominants sur plusieurs planches: beige grisé à Rome, orangé à l'hôpital, orange-rouge dans le désert, franchement coloré à la fin, etc. On aurait quand même pu, dans le texte, éviter de parler (page 35) du bleu vif du ciel dans une vignette en noir, blanc et orangé, où il n'y a de bleu nulle part.
Ca tombe bien, Pratt (dont le dessin se laisse souvent aller, lui aussi, à de regrettables promptitudes) s'est précisément attardé sur la Somalie, et les populations que côtoie Paolo sont dessinées avec sympathie. Les ombres de Rimbaud et de Kessel rôdent sur ces paysages désolés de Somalie
Cette histoire, un peu mélo, mais fort humaine dans l'ensemble, d'un homme qui fuit ses responsabilités et ses devoirs moraux pour quêter la déchéance dans la solitude du désert et l'alcool, touche les fibres de nos propres lâchetés, qui sont nombreuses, surtout quand elles sont inavouées. La rédemption l'attend au terme de cette expérience du vide, qui aura été pour lui un ressourcement. La morale est qu'il faut s'emparer un jour des aspects lourds de la vie, et qu'il est immoral de gaspiller le potentiel de jouissance et d'épanouissement dont on dispose.
Le profil du scénario cherche malgré tout à faire pleurer Margot, en la caressant dans le sens du poil des tropismes idéologiques d'aujourd'hui. Le héros-narrateur s'annonce de lâcheté en lâcheté, de déchéance en addiction, tout ça finalement pour quoi ? Pour fantasmer à distance sur le corps d'une femme qu'il a pris l'initiative de quitter parce qu'il n'est pas responsable de ses actes. En face de ce bourgeois-nanti qui n'a que ses histoires de coeur et de cul pour nourrir ses malheurs, voici un ange salvateur, issu d'un des pays les plus pauvres du monde, atteint du SIDA, ne se lamentant jamais sur lui-même, soucieux du sort de son enfant alors qu'il ne lui reste que quelques heures à vivre. Le contraste affolant entre la figure de l'Occidental pourri de drogues qui végète volontairement, et celle de l'Africain droit dans ses bottes, pétri de morale, de savoir-vivre et de savoir-mourir, proche du sommet de ce que l'on peut demander à un être humain d'altruisme et de générosité, ce contraste a une valeur d'exemplarité quasi caricaturale, et de leçon de vie qui ramène aux valeurs de base de l'existence.
La rédemption attendue du héros a tout de même un petit cachet trop rapide, voire miraculeux. Sortir de l'abandon de soi, de l'inertie, de l'irresponsabilité et de la drogue en quatre pages format roman narratif, relève davantage du procédé narratif que de la vraisemblance.
Pas étonnant: dans un appendice, Joël Alessandra révèle le côté en partie autobiographique de cette histoire, et les blessures personnelles qui lui ont fait choisir Dikhil (à Djibouti) comme cadre de sa narration.
Créée
le 14 mars 2011
Critique lue 362 fois
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