« Dans l'Europe en état de guerre civile larvaire, une nouvelle génération de surhommes travaille au contrôle des foules. À l'est, l'organisation qui se fait appeler "Nous Autres" ne se cache plus derrière le gouvernement des Soviets. Au sud, l'archimilliardaire Gog domine la Méditerranée. Mais c'est au centre que se dresse le plus grand ennemi de la liberté, le maître du crime légal et de l'hypnose de masse, MABUSE ! Ce nom seul fait trembler et gémir sur tout le continent... Sauf à Paris. Dans les salles secrètes de l'Institut du radium, la riposte se prépare. Réservez dès maintenant auprès de votre libraire La Brigade Chimérique contre Mabuse. »
Ce texte est une publicité d'époque que l'on pouvait lire à la fin du roman Les Pirates du radium, écrit par Georges Spad en 1934. Serge Lehman, 80 ans plus tard, s'en est inspiré pour écrire, en association avec Fabrice Colin, le scénario d'une bande dessinée. L'histoire est découpée en douze épisodes d'une vingtaine de pages chacun, comme les comics.
Les premiers super-héros américains sont les descendants des héros littéraires tels que Doc Savage ou The Shadow. En Europe, de tels héros ont existés, ils s'appelaient le Nyctalope, Félifax, Harry Dickson... Mais à la Libération, ils sont tombés dans l'oubli. Où sont passés les super-héros européens ? C'est pour répondre à cette question que Serge Lehman a écrit le scénario de la Brigade Chimérique, et également pour nous faire redécouvrir tout une période de la science-fiction. Grosso modo, celle qui s'étend des derniers romans de Jules Verne aux premiers de René Barjavel.
La démarche de Serge Lehman rappelle celle d'Alan Moore et sa Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Lehman dépeint une Europe où les héros de la littérature coexistent et côtoient leurs créateurs. L'idée étant que ces derniers ne sont plus des romanciers, mais des biographes. On croise également de grandes figures historiques (Irène Joliot-Curie, Daladier...), des monstres, des extraterrestres, des robots géants, de la magie, des gadgets scientifiques... On pourrait craindre que de tout cela résulte un fourre-tout indigeste mais au contraire, l'univers est étonnamment cohérent et crédible.
La lecture n'est pas facile d'accès. Le rythme est assez lent, il y a beaucoup de textes, l'histoire est dense et ultra référencée. À ce propos, la trentaine de pages de notes concluant l'ouvrage est précieuse. Une vraie mine d'or donnant envie de découvrir un paquet d'œuvres (pour la plupart malheureusement difficiles à dénicher de nos jours, mais Serge Lehman indique parfois quand des rééditions récentes existent). Une lecture exigeante, donc, mais également passionnante. Personnellement, j'ai adoré. Le ton est sombre, le scénario et les personnages sont bien écrits. Visuellement, le trait de Gess est différent de ses Carmen Mc Callum. L'encrage est plus classique. Avec la colorisation de Céline Bessonneau, le rendu colle très bien à l'ambiance rétrofuriste.
La Brigade chimérique est une uchronie steampunk très réussie que je recommande chaudement à tous les amateurs de science-fiction.