War zone
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Les Humanoïdes associés rassemblent une quinzaine d’histoires dessinées par Mœbius dans un diptyque dont la diversité – de genres, de formes, de thèmes – n’a d’égale que la créativité.
Quand Jean Giraud déclinait son identité civile chez Marvel, c’est à peine si on levait les yeux vers lui. Quand il précisait être celui qui se cache derrière le pseudonyme de Mœbius, il faisait soudainement l’objet des attentions les plus zélées. Dans une postface aux accents biographiques, Florent Chastel explique comment l’homme est passé de Jean à Mœbius, comment celui qui fut biberonné à l’américanisme et aux westerns hollywoodiens parvint ensuite à inscrire sa patte au frontispice d’Alien, du Cinquième élément, d’Akira, de Tron ou d’Abyss, tantôt en tant que simple inspirateur tantôt en qualité de consultant artistique.
Voyons dans le détail. Miyazaki admire son œuvre. Alejandro Jodorowsky et Ridley Scott lui ont offert une étoffe cinématographique. Avec La Haine, Mathieu Kassovitz a creusé un sillon déjà esquissé par Cauchemar blanc, une histoire dessinée inspirée d’un fait divers raciste. George Lucas se reporte ouvertement à Mœbius au moment de créer Star Wars. Dans l’introduction d’un ouvrage consacré à l’auteur français, le héraut du Nouvel Hollywood le décrit d’ailleurs comme un « maître dessinateur » et un « superbe artiste ». Ce diptyque publié aux éditions Humanoïdes associés permet d’en prendre la pleine mesure : Mœbius révise la science-fiction avec un sens graphique et une vision d’auteur rarement égalés.
La quinzaine d’un créateur
Quinze histoires dessinées sont rassemblées dans ce diptyque remarquable. Elles prennent les formes les plus diverses – couleurs contre noir et blanc, science-fiction spatiale contre récit social, dessins sophistiqués contre esquisses minimalistes, etc. Cauchemar blanc est probablement la plus engagée d’entre toutes : elle fut écrite en réaction à un crime raciste où le silence des témoins pouvait s’apparenter à du consentement. La première partie du récit, imaginaire, place les agresseurs, partisans d’extrême droite, dans un contexte hostile où le voisinage prend parti en faveur de la victime, ce qui rend les événements ensuite contés – bien réels, eux – d’autant plus cruels. The Long Tomorrow, le premier titre de cet ouvrage, témoigne à lui seul de l’inventivité folle de Mœbius : une architecture verticale à différents niveaux symbolise un système de classes sociales des plus inégalitaires. On rencontre dans un univers particulièrement fécond des robflics, des doubles androïdes, un espion arcturien, des puits anti-gravité, des vibro-dagues ou encore un astroport, le tout dans une trame où les obsessions organiques à la David Cronenberg et les manœuvres machiavéliques vont de pair.
Rock City et Absoluten Calfeutrail possèdent des caractéristiques communes (leur absence de dialogues, le noir et blanc), mais les enchevêtrements entre le rêve, la réalité et la fiction du premier cité tendent à le rendre plus mémorable. L’espace occupe une place centrale dans l’œuvre de Mœbius. L’Univers est bien petit, dans des teintes (habituelles) jaunes-vertes-rouges, narre une vengeance cosmique ; Barbe-rouge et le cerveau-pirate évoque les limites des intelligences artificielles ; L’Artéfact commence dans les étoiles, souligne la singularité de la terre, puis relativise, de manière assez ironique, la place de l’homme dans l’univers ; Ktulu revisite Lovecraft et le mythe de Cthulhu au sein même de la présidence de la République… Certaines histoires s’avèrent davantage terre-à-terre, même si Mœbius y injecte l’étrangeté et/ou l’inventivité qui le caractérisent. Il en va ainsi de Variation n° 4070 sur « le » thème, qui met en scène l’exécution d’un sergent-chef dans un territoire réduit à néant par le feu nucléaire. La Tarte aux pommes entend s’immiscer dans les fantasmes nocturnes des adolescentes, mais aussi illustrer la manière dont l’inconscient interagit avec des scènes de la vie quotidienne. Ballade confronte un monde onirique à l’âpreté et l’absurdité militaire. Toutes ces histoires, coloriées ou pas, supportant ou non plusieurs lectures, dessinées à traits plus ou moins fins, ont en commun le sens graphique et narratif d’un créateur à l’imagination sans bornes. Il n’est décidément pas étonnant que Mœbius et Jodorowsky se soient construit une vie artistique commune…
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 7 janv. 2020
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