Ce tome est le deuxième d’une série de trois, ayant donné lieu à la série dérivée Toujours prêtes ! (2023), par Virginie Augustin & Julien Hervieux. Cette bande dessinée a été réalisée par Monsieur le Chien pour les dessins, Julien Hervieux (alias l’Odieux C.) pour le scénario, et des couleurs réalisées par Olivier Trocklé. Il fait suite à Le Petit Théâtre des opérations - tome 02: Faits d'armes incroyables mais bien réels... (2022) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant. La parution initiale date de 2022. L’album prend la forme d’une anthologie, regroupant sept histoires indépendantes, comprenant entre cinq et dix pages, chacune consacrée à un individu ou un groupe d’individus différent. Chaque chapitre comprend une page supplémentaire avec deux photographies d’époque, et un court texte complétant la réalité historique de ce qui a été raconté. Entre chaque histoire se trouve un intermède d’une page en bande dessinée consacrée à une anecdote militaire. Par exemple : un sous-marin coulé par un dysfonctionnement de chasse d’eau, l’utilisation de l’art contemporain pour torturer psychologiquement des prisonniers.


Jean de Selys Longchamps : le baron belge, cinq pages. Mai 1940, le baron Jean de Selys Longchamps, jeune officier belge, défend son pays face à l’invasion allemande. Il est repoussé à Dunkerque, mais il faut évacuer. Il retourne se battre en France, mais le pays est évacué. Ce qui n’arrête pas le baron. Hélas, après avoir traversé la France occupée, gagné Gibraltar, puis le Maroc, il est capturé et envoyé dans une prison près de Montpellier. Oui le baron s’est échappé ; ils ne le reprendront pas. Le baron parvient à rejoindre l’Angleterre. Sur la base aérienne où il s’est présenté, le commandant peut lui proposer un poste de pilote pour attaquer les trains allemands. Et pour ça, il lui confie un Typhoon : quatre canons de 20mm pour découper des locomotives, un emplacement pour roquettes pour plus d’amour. Après avoir reçu une lettre de ses copains belges évoquant les rafles de la Gestapo à Bruxelles, le baron décide d’attaquer cette ville, seul.


L’attaque des ballons intercontinentaux, une page. Monsieur Chien voit passer un ballon dans le ciel et le scénariste lui enjoint de prendre garde car le ballon est la toute première arme de destruction intercontinentale de l’histoire. Il évoque la tentative de les utiliser par l’armée japonaise en 1944, contre les États-Unis. USS William D. Porter, le destroyer de tous les dangers, six pages. Norfolk, aux États-Unis en novembre 1943. Le commandant monte sur le pont du destroyer USS William D. Porter. Il s’adresse à l’équipage : c’est la première grande mission de leur bâtiment, escorter le navire du président Roosevelt lui-même, jusqu’en Afrique. La manœuvre de départ commence et le commandant entend un grand bruit : le navire a un peu percuté les navires d’à côté. La traversée doit s’effectuer dans la plus grande discrétion. Peu de temps après le départ, un marin maladroit fait sauter une charge anti-sous-marine par accident, bruit qui s’entend à des kilomètres à la ronde.


Avec le premier tome, les auteurs avaient établi leur mode narratif : raconter des hauts faits sur un mode humoristique, neutralisant toute velléité de patriotisme, toute crainte d’exaltation de la valeur guerrière, de la haine de l’ennemi, un ton déstabilisant de prime abord. Le scénariste a fait la preuve de sa capacité à choisir des faits de guerre variés, et le dessinateur à trouver le bon dosage entre reconstitution historique plausible et assez consistante, et narration fluide et humoristique. Il en va de même pour ce tome qui reprend à l’identique la construction du précédent : un fait de guerre, une page de texte pour l’étoffer, une anecdote en une page de BD. Ce tome compte un récit de moins que le précédent, et un récit avec une plus forte pagination, le dernier. Cette fois-ci, le lecteur peut découvrir un pilote belge détruisant tout seul l’immeuble de la Gestapo à Bruxelles avec son avion, un équipage de Destroyer avec les deux pieds dans le même sabot (ils parviennent à tirer une torpille sur le navire dont ils assurent la protection et qui transporte le président des États-Unis), un avion civil servant à effectuer des bombardements, des Népalais au combat dans l’armée britannique, des Russes gazés chargeant l’armée allemande, un as de l’aviation, un soldat québécois terriblement efficace. Cinq récits se déroulent pendant la seconde guerre mondiale et deux pendant la première guerre mondiale.


Ces sept récits varient les plaisirs avec un pilote belge, puis un équipage de destroyer américain, un capitaine de corvette français, un Népalais, des soldats russes, un pilote français, et un sergent québécois. Comme dans les tomes précédents, le scénariste se tient à l’écart du camp allemand, tout en présentant un éventail multinational, mettant en avant cinq individus, et des soldats anonymes, un équipage, les différentes armes, avec trois récits pour l’armée de l’air, un pour la marine et un pour l’armée de terre. Le lecteur découvre une diversité à l’avenant pour les anecdotes : une tentative par les Japonais d’utiliser des ballons intercontinentaux en 1944, un cheval fusillé par les Allemands en 1940, un sous-marin Allemand coulé par un problème de chasse d’eau en 1945, une cellule avec art moderne en 1936, la production d’un char américain d’après des plans français en 1917, un pigeon décoré de la légion d’honneur en 1916. Comme à son habitude, le scénariste adopte un ton narquois. D’un côté, il se montre rusé et habile : le baron belge apparaît plus insubordonné et téméraire que raisonné et courageux. Le commandant Henri-Laurent Daillière navigue entre inconscience et irresponsabilité. Lachhiman Gurung est mis en scène comme une force de la nature, un individu refusant l’évidence de ses blessures, plutôt qu’un homme dur à la douleur. Charles Nungesser agit de manière quasi irresponsable par pure bravache. Leo Major se conduit comme une tête brûlée convaincu de sa quasi-invincibilité, et de l’infériorité des ennemis. Il reste toutefois possible de lire ces récits au premier degré en faisant fi de ce ton moqueur, et d’y voir une forme de ruse : les hauts faits (sauf pour l’équipage du destroyer) transparaissent bien, de l’attaque en solo sur le quartier général de la Gestapo à Bruxelles, aux opérations commando également en solo contre les troupes allemandes. Le lecteur peut y voir une forme d’admiration teintée d’incrédulité à posteriori pour les exploits accomplis, conforté dans cette idée par la dédicace du scénariste : À tous ceux qui y sont allés. À tous ceux qui y sont encore. Merci.


Au fil des pages, le lecteur se dit qu’artiste et scénariste se sont bien trouvés, totalement en phase sur le mode narratif humoristique qui n’exclut pas l’admiration. Impossible de résister aux gags visuels : les yeux en forme de cœur quand de Selys Longchamps découvre le Typhoon qu’il va piloter, les yeux en forme de crâne quand la fureur lui dicte d’attaquer la Gestapo à Bruxelles, la présence de Popeye parmi l’équipage de l’USS William D. Porter, le teint cadavérique de son commandant en comprenant que son équipage a tiré sur la navire du président, le langage corporel exagéré pour mieux montrer l’agacement, la colère, l’exaspération, les simulacres d’installation d’art moderne, l’inscription Cadeau pour Adolf à l’extrémité d’une bombe, etc.


Dans le même temps, le dessinateur raconte fidèlement l’action, avec des éléments historiques comme les uniformes, les armes, les avions, les navires, le sous-marin, les fusils à baïonnette, le char, etc. Il emmène le lecteur dans des lieux variés : une base aérienne, la pleine mer, un destroyer, le plein ciel, une stalle d’un centre équestre, la jungle birmane, une grande plaine, un sommet du Népal, des salles de commandement, un sentier en crête, etc. Il se montre très clair dans la mise en scène des combats : le vol incroyable de l’avion du baron entre les immeubles de Bruxelles, les positions respectives de navire de la flotte escortant le président, les tirs de barrage anti-aérien, la charge des soldats ayant souffert une attaque au gaz, l’infiltration du Rambo québécois dans les lignes ennemies, etc. Il suffit que le lecteur marque un bref temps de pause quelle qu’en soit la raison, pour que le recul provoque en lui une déconnexion d’avec le mode humoristique, et la mesure de l’action militaire qu’il est en train de découvrir, y compris les morts occasionnés par cette action. C’est tout le paradoxe de cette narration irrespectueuse : faire découvrir des faits d’arme sans les valoriser, tout en présentant des faits étonnants et des actions remarquables. Une étrange image de la guerre et des combats. Le dessinateur a également rédigé une dédicace mise en exergue : il indique qu’il est un clown, un artisan du pouêt-pouêt, et il sait reconnaître les gens qui lui sont supérieurs. […] Humblement, très humblement, ces pages leur sont dédiées.


Qu’il ait lu les deux premiers tomes ou non, le lecteur en redemande. Il découvre des faits d’arme authentiques, semblant être tournés en dérision, mais en fait racontés avec rigueur. Il sourit devant le comportement parfois emporté des militaires, tout en mesurant bien le caractère extraordinaire de ce qui est raconté, même par temps de guerre. Scénariste et dessinateur semblent un peu désinvoltes dans leur manière d’aborder ces récits, au moins en apparence. À la lecture, leur implication et une forme inattendue de respect deviennent apparents.

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le 24 sept. 2023

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