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Au début de ce roman graphique, on découvre un François Mitterrand à son crépuscule. Posant devant un sculpteur pour la postérité, il accepte dans le même temps de se livrer sans ambages à une journaliste. Ses confidences vont permettre de démystifier certaines affaires datant des années 1950 : les fuites (1954), le bazooka (1957) et l’attentat de l’Observatoire (1959). Patrick Rotman va alors tisser fil par fil les coulisses de la IVe République, faisant intervenir de nombreux personnages et entrer en résonance les histoires les unes avec les autres.
En noir et blanc et à traits fins, Mitterrand et ses ombres se penche dans un premier temps sur l’affaire des fuites. Nous sommes en 1954 et François Mitterrand occupe la place Beauvau. Le président du Conseil n’est autre que Pierre Mendès France. Ce dernier apprend que les délibérations du Comité supérieur de la Défense nationale ont été communiquées au Parti communiste français et ce, alors que la situation en Indochine est des plus préoccupantes. Une enquête est diligentée en interne, mais les soupçons se portant sur Mitterrand, le futur président n’en est pas avisé. Le scénariste Patrick Rotman révèle les dessous d’une machination visant à déstabiliser certaines personnalités politiques – et rendues possibles par la négligence du secrétaire général Jean Mons.
L’affaire suivante est celle dite du bazooka, qui visait initialement le commandant Raoul Salan et coûta finalement la vie au commandant Rodier. Des roquettes sont tirées depuis un immeuble voisin sur le bâtiment abritant le commandement de la Xe région militaire à Alger. François Mitterrand est lié à cette histoire en sa qualité de Garde des sceaux. Ce deuxième arc narratif est très instructif sur l’Algérie française et repose sur la volonté de placer le général René Cogny aux commandes à Alger, car ce dernier est alors considéré comme farouchement attaché à l’Algérie française. Mais le complot implique aussi des personnalités gaullistes de premier plan, dont Michel Debré – second liant de l’album après Mitterrand –, ainsi que des petites mains telles que René Kovacs ou Philippe Castille.
Le troisième acte a trait à l’attentat manqué de l’Observatoire, à la suite duquel on accusa François Mitterrand de s’être mis en scène à des fins politiques. En grattant le vernis, ce qui apparaît est toutefois autre : une nouvelle fois, c’est Michel Debré qui semble être à la baguette. Ce dernier, se sachant en position d’infériorité vis-à-vis de Mitterrand (qui, à sa demande, n’a pas levé son immunité parlementaire lors de l’affaire du bazooka), aurait planifié une série de manœuvres visant à laisser croire que le futur président socialiste aurait eu recours à un homme de main pour simuler un attentat le visant. Des assertions que Mitterrand a portées à la tribune du Sénat, sous les cris vindicatifs de ses adversaires politiques.
Mitterrand et ses ombres est un document passionnant, qui se lit comme un polar, mais qui ne vise aucunement à blanchir en solde de tout compte l’ex-dirigeant socialiste. Son principal intérêt consiste à lever un coin de voile sur des pratiques politiques sournoises, et sur une époque où les « affaires » étaient monnaie courante. Patrick Rotman en profite pour portraiturer un François Mitterrand adepte du mensonge (concernant sa vie privée) et du libertinage. On l’aperçoit en effet plus souvent en compagnie de ses maîtresses que de sa femme Danielle et leurs enfants. La politique y apparaît dans tous ses reliefs émotionnels (grâce au travail remarquable de Jeanne Puchol sur l’expressivité des visages), mais aussi comme un chemin continu aux échos multiples.
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 11 mai 2021
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