12 Years a Slave par Léopold Pasquier
Un an après Lincoln et Django Unchained, Hollywood relance la question de l'esclavagisme au cinéma. Si Steve McQueen semble tout désigné, trouvant dans le sujet matière exemplaire pour son habituelle figure d'homme soumis, pas sûr que Twelve years a slave se montre plus malin que ses prédécesseurs.
L'histoire est celle de Solomon Northup, violoniste afro américain originaire de Rhode Island. Né libre de parents affranchis, il se retrouve à 31 ans enlevé, séquestré puis vendu comme esclave en Louisiane. Il lui faudra cacher sa bonne éducation pour rester en vie et espérer un jour retrouver les siens. Pendant 12 ans Solomon cherchera à survivre à la barbarie qui l'entoure.
Steve McQueen filme comme à son habitude la soumission vécue dans la chaire, ici celle d'esclaves traités comme du bétail. Le cinéaste travaille son pathos en surface (la cicatrice) se montrant habile à illustrer son propos à travers un large éventail de châtiments corporels, imagerie indéniablement douloureuse.
La question de l'image et de son ultra lisibilité n'est pas anodine, c'est même l'enjeu majeur de Twelve years a slave : montrer ce que l'histoire du cinéma ne s'était pas encore décidée à montrer.
Travail délicat qu' Hollywood prend manifestement très au sérieux : on ne plaisante pas avec la question noire, Django Unchained en faisait les frais aux derniers Oscars.
Reconsidérer l'esclavagisme dans une œuvre grand public ne pourrait se faire -selon l'éthique hollywoodienne- sans une extrême rigueur historique, ce à quoi prétend Twelve years a slave via le principe suivant : plus l'horreur se montre hyper réaliste, plus elle gagne en exactitude historique.
Or cette déontologie populiste est en réalité doublement problématique puisque non seulement Hollywood légitime par là ses effets racoleurs et spectaculaires au nom d'un devoir de mémoire (Brad Pitt débarquant dans les 10 dernières minutes pour sauver la situation), mais en cherchant l'indignation immédiate, il stérilise toute vraie compréhension de cette atrocité.
Il faut revenir sur Django Unchained et son approche de la question noire jugée inconséquente à tort. D’abord parce que le point de vue historique y était traité avec le plus grand sérieux, comment comprendre autrement cette pudeur -surtout venant de quelqu'un comme Tarantino- à montrer la violence physique faite aux noirs ? Mais aussi parce que Django Unchained trouvait dans cette politique de l'image manquante sa plus belle idée : la substitution par le cinéma.
Plutôt qu'un misérabiliste portrait d'esclave, Tarantino offrait à la cause noire -et au cinéma- cette image : un noir a cheval, et c'était déjà bien plus.