En 1903, la proportion de films-éclairs de une ou deux minutes chute radicalement, grâce aux progrès de la pellicule. Les phares officieux du cinéma primitif, Le Voyage dans la Lune et The Great Robbery Train, viennent de sortir et connaissent un immense succès (chacun dure environ 10 minutes). Le format 35mm est privilégié presque partout et le muet permettant de passer, certes 'par en-dessous', les barrières de la langue, les films sont en théorie exportables et surtout exploitables n'importe où. Dans quelques années cela fera la gloire de Pathé & Gaumont, mais aussi le malheur des français rattrapés par les suédois (Sjostrom rayonnera dès les années 1910 – Terje Vigen) et les américains. Dans ce contexte, A Chess Dispute avec sa petite minute, son absence de trucages et de gadgets mirobolants, semble mal parti pour entrer dans l'Histoire, fût-elle à ses débuts.
Ce film est justement retenu pour ce qu'il évite de montrer ! A Chess Dispute est le premier film utilisant le hors-champ au cœur de l'action et, durée aidant, pendant l'ensemble de la séance. Les deux joueurs d'échecs se livrent des coups 'sous' l'objectif et laissent surgir régulièrement des bouts de leurs corps, des vêtements volants, pour être finir attrapés par le col et les tronches éraflées – dans un esprit presque 'cartoon' en restant terrien. Voilà qu'on manipule le contenu et plus simplement la texture, en évitant la bête exposition pour divertir (qui a suffit à May-Irvin Kiss ou Après le bal pour devenir des 'incontournables') ! L'école de Brighton, portée par George A.Smith et Williamson, a fourni des techniques fondamentales du cinéma : plan subjectif, très gros plan, champ/contre-champ, cache/contre-cache et ses dérivés relatifs au split-screen. Ce mouvement va bientôt arriver au bout de ses innovations, il faudra maintenant des révélations, à l'image de l’œuvre de Méliès, dont les trucages ont d'ailleurs inspirés tous ses concurrents de l'époque pour leurs 'découvertes' (cette notion est souvent relative aux premiers temps du cinéma – s'il n'y a pas plus précoce, il y aura rapidement plus doué que soi).
A Chess Dispute est de ces révélations (certes condamnée à la désuétude en peu de temps) et de plus il s'octroie un rapport effet/budget extrêmement favorable – la casse n'a qu'à être mimée, les tronches éraflées dans le plan final suffisent à tenir la séquence (évitant à la fois la lâcheté envers le spectateur et la demande de sacrifices à son équipe). Une nouvelle fois Robert William Paul fournit donc une œuvre remarquable grâce à son idée plutôt que sa machinerie. En effet avant d'indiquer la richesse potentielle du hors-champ, il a mis en scène le premier 'film dans le film' avec The Countryman and the Cinematograph (1901), sorte d'hommage précoce au pouvoir du cinéma. Comme son homologue français Méliès, auquel il a montré le chemin après que les Lumière l'ait poliment recalé (et auquel il a fourni la caméra pour son premier film, Une partie de cartes), Robert W.Paul a d'abord une contribution d'artiste. Outre leurs productivité en tant que réalisateurs (un demi-millier pour Méliès, à deux chiffres pour Paul) Méliès est davantage retenu parce qu'il a été un amuseur de foules, le chef-d'orchestre mégalo d'un univers à soi croisé à celui des illusionnistes ; Paul est d'abord un concepteur, un artisan avide de repousser les limites plutôt que jouer avec et un commerçant élitiste.
Néanmoins il aura marqué des points sur tous les tableaux, ayant manqué de peu la place de 'n°1' (après les n°0 de la préhistoire : Muybridge, Marey, Edison et Dickson, Le Prince) de l'Histoire du cinéma, en lançant le second projecteur historique (le theatograph ou animatograph) à peine deux mois (février 1896) après l'exposition publique de L'Arroseur Arrosé par les frères Lumière. Le ralenti sur Rough Sea at Dover (1895) en fait également un pionnier des techniques. Enfin il a participé aux travaux de Walter R.Booth en temps que producteur (The Haunted Curiosity Shop, An Over-Incubated Baby, Artistic Creation), participant à faire mûrir le jeune cinéma pendant que l'école de Brighton dominait 'l'avant-garde' dans leur pays (Royaume-Uni) et que James Bamforth copiait avec panache les premiers totems et patrons.
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