La première adaptation du conte de Caroll est une grosse démonstration mais aussi une déception. Cet Alice in Wonderland primitif dure près de neuf minutes, il est donc long pour l'époque ; il aurait été le film anglais le plus long de son temps selon le BFI, qui situe sa durée originelle à douze minutes. La copie est toujours endommagée, malgré les efforts de restauration de la BFI National Archive. Ce court-métrage dirigé par Cecil Hepworth (How It Feels to Be Run Over, Explosion of a motor car – 1900) reste lisible et constitue un témoin historique important, à cause des moyens mis en œuvre.
Plusieurs effets spéciaux relativement pointus sont utilisés avec succès, comme le fondus (fin de la 3e minute) ou l incrustation (le gros matou blasé en 5e minutes). Paradoxalement ce cortège porte plutôt préjudice au résultat final. Hepworth abuse des cut-caméras, rarement pour varier le contenu ou la nature des choses à l'écran. Il prouve une maîtrise technique importante, des acquis déjà brillamment assimilés ; mais comme dans Explosion, c'est utilisé de façon abrupte. Or sur la durée le simple effet ne suffit plus et le manque de surprise redouble avec une adaptation littéraire. Cela donne une impression de gros éclats au milieu d'un territoire en friche ; du spectaculaire artisanal dévoyé et lâché dans un certain vide.
Que le conte soit connu n'est favorable que pour capter spectateur, susciter la sympathie lors des apparitions attendues (ou des réminiscences forcées) ; mais c'est aussi plombant, car on relève davantage le peu de subtilité (sans compter les passages ratés ou abandonnés). Le film enchaîne les lenteurs ou fixettes incongrues, puisqu'au service d'aucune originalité technique ou narrative (contrairement à L'Astronome indiscret dont les longues secondes en vue subjective, malgré l'expectative qu'elles pouvaient créer et frustrer, servaient à apprécier la proposition -et éventuellement à la 'réaliser', à l'époque).
Les acteurs sous les costumes de lapins ou autres créatures se devinent trop fort, ce qui peut se comprendre et est compensé : même si ce film fait partie de l'élite en 1903, les moyens sont encore limités, le travail sur le montage est important, il y a de l'astuce dans la mise en scène (par exemple pour le terrier). Les prises de vues sont toujours effectuées à distance, de façon bien plus marquée que la moyenne ; il y a une fois sur deux l'usage de l'espace le légitimant (parade) – ou l'exigeant par nécessité (traversée du terrier), l'autre fois il n'y a même pas les bricoles (ou plus qu'une, ce qui revient au même) pour faire semblant. Par conséquent l'environnement semble souvent vacant alors que les personnages, y compris Alice, ne sont encore que des pantins. Toutes ces raisons font du film une pièce de collection importante mais chancelante.
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